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Full text of "Recherches et nouvelle étude critique sur les recueils de droit canon attribués à Yves de Chartres"

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» .  I 


RECHERCHES 


ET 


NOUVELLE  ÉTUDE  CRITIQUE 


SUR   LES 


BECCEILS  DE  DROn  CANO?i  ATTRIBUÉS  A  YVES  DE  CHARTRES 


K.  DE  SOTB  et  FILS,  imprimeurs,  plaoe  du  Fanthéoa,  5. 


LE  DROIT   CANON   AU   ONZIÈME  SIÈCLE 


SUR  LES 


RECUEILS  DE  DROIT  CANON 


ATTRIBUÉS    A   YVES   DE   CHARTRES 


THÈSE 


POUR    LE    DOCTORAT    EN    THÉOLOOIE 

PRÉSENTÉE 

A   LA  FACULTÉ  DE   PARIS,   EN   SORBONNË 

PAR 

M.    L'ABBÉ    J.-R.    MENU 

LICENCIÉ     EN      THÉOLOGIE,     LICENCIÉ     ES     LETTRES 
AUMONIER  DU  LYCÉE  LOUIS-LE-GRAND 

Est  in  potestate  judicis  molllre  sententlam 

et  mitiùs  vindicare  quam  leges.  Yves.  Prol. 

Ex.  S.  Aug.  (Ep.  ad  MarcellinJ . 


PARIS 

BERCHE  &  TRALIN,  ÉDITEURS 

69,     RUE     DE     RENNES,     69 


UDC  CCLX  XX 


BEb  25  1952 


SA    GRANDEUR    MONSEIGNEUR    GILLARD 


ÉVÉQ.UE   D'HIPPONE   ET   DE   CONSTANTINE 


HOMMAGE     DE     PROFONDE     VÉNÉRATION     ET     DE     RECONNAISSANCE 


J.  R.  M. 


AVANT-PROPOS 


Le  premier  mot  de  notre  titre  ne  manquera  pas 
sans  doute  d'étonner  le  lecteur  :  présenter,  au  temps 
oii  nous  vivons,  une  thèse  sur  le  droit  canon,  et  sur- 
tout sur  le  droit  canon  au  moyen  âge,  cela  ne  s'ex- 
plique guère,  du  moins  au  premier  abord. 

En  effet,  l'étude  de  cette  science  que  l'on  cultive 
avec  tant  de  soin  dans  certains  pays  voisins  du  nôtre 
n'obtient  pas  en  France  la  même  faveur.  L'impossibi- 
lité ou  du  moins  la  difficulté  d'en  observer  pratique- 
ment les  règles,  dans  beaucoup  de  cas,  nuit  sans  doute 
à  l'enseignement  théorique. 

Il  n'en  est  pas  de  même  à  Rome,  mère  et  gardienne 
des  traditions  catholiques,  ni  en  Allemagne  où  les 
écrivains,  les  savants,  amateurs  passionnés  du  passé, 
se  font  un  plaisir  et  une  gloire  de  rechercher  les  ori- 
gines et  de  suivre  à  travers  les  siècles,  les  développe- 
ments d'une  science  qui  renferme,  en  grande  partie, 


—   VIII   — 

la  vie  de  l'Église  (1).  Je  ne  voudrais  pas  dire  cepen- 
dant qu'en  France,  on  se  désintéresse  complètement 
des  questions  qui  se  rapportent  à  l'étude  du  droit  ca- 
non. A  plus  d'une  reprise,  des  écrivains  de  notre  pays 
s'en  sont  sérieusement  occupés,  et  ont  fait  preuve 
d'une  grande  érudition  (2). 

Mais,  dira-t-on  peut-être,  dès  là  qu'on  veut  traiter 
du  droit  canon  au  moyen  âge,  pourquoi  ne  pas  étudier 
Gratien  dont  le  Décret  fait  autorité  dans  la  science  et 
dans  l'Église? N'est-ce  pas  de  lui  qu'on  date  pour  établir 
les  différentes  divisions  de  l'histoire  du  droit  canon? 
Son  ouvrage  n'est-il  pas  comme  la  base  fondamentale  de 
cette  science,  puisqu'il  a  servi  à  former  la  première 
partie  du  Corpus  juris  canonici?  Ces  réflexions  sont 
assez  justes;  mais,  ne  peut-on  pas  faire  observer  d'a- 
bord que  le  Décret  de  Gratien  a  été  déjà  le  sujet  de 
nombreuses  et  savantes  études?  ensuite,  que  l'auteuj 
n'a  pas  tiré  son  œuvre  tout  entière  de  son  propre 
fonds,  mais  qu'il  a,  comme  ses  prédécesseurs,  puisé  à 
des  sources  très  nombreuses?  S'il  en  est  ainsi,  n'est-il 
pas  utile  et  même  nécessaire  d'étudier  ces  sources, 


(1)  Il  se  publie,  en  Allemagne,  une  Revue  spéciale  qui  ne  traite 
que  du  droit  canon;  elle  est  intitulée  :  Archiv  fur  das  Kirchenrecht , 
treize  volumes  ont  déjà  paru.  Cette  revue  s'occupe  surtout  des  col- 
lections inédites  qui  se  trouvent  dans  les  bibliothèques  de  Paris,  de 
Vienne,  de  Berlin  et  principalement  dans  celle  du  Vatican.  Il  y  en 
a  encore  paraît-il,  près  de  vingt-cinq  à  trente  qui  n'ont  jamais  vu 
le  jour  et  qui  ont  été  signalées  par  le  savant  Thciner. 

(2)  Voir  dans  la  Revue  des  Questions  historiques  (année  1866,  2"  li- 
vraison et  année  1867,  livraison  janvier  1867),  un  excellent  travail 
sur  les  fausses  Dccrétales. 


—    IX   — 

afin  de  mieux  apprécier  le  mérite  de  l'illustre  profes- 
seur de  Bologne? 

C'est  ce  qu'ont  pensé  et  exécuté,  il  y  a  longtemps 
déjà,  des  hommes  graves  et  amis  des  travaux  sérieux  : 
les  Doujat  (1),  les  Baluze  (2)  et  d'autres  savants  du 
dix-septième  siècle. 

Or,  une  des  premières  figures  qu'ils  ont  rencontrées 
a  été  celle  du  docte  et  vénérable  Yves  de  Chartres;  la 
première  source  oii  l'auteur  du  Décret  ait  puisé,  a  été 
l'œuvre  de  notre  savant  canoniste  :  c'est  par  elle  qu'ils 
ont  commencé. 

D'ailleurs,  ils  avaient  été  déjà  précédés  dans  cette 
voie,  puisque  dès  la  fin  du  quinzième  siècle,  c'est-à- 
dire  moins  de  soixante  ans  après  la  découverte  de 
Gutenberg,  nous  voyons  apparaître  la  première  édition 
de  la  Panormie  (3),  et  un  demi  siècle  plus  tard,  celle 
du  Décret  (4). 

Au  dix-huitième  siècle,  les  auteurs  de  VHistoire  lit- 
téraire qui  s'étaient  donné  la  mission  de  recueillir  tout 
ce  qui  pouvait  relever  nos  gloires  françaises  ne  man- 
quèrent pas  d'étudier  et  de  faire  valoir  les  œuvres  du 
docte  évêque  de  Chartres  (5). 

A  la  même  époque,  un  de  leurs  savants  confrères, 
un  bénédictin  de  Saint-Germain   des  Prés,  D.  Gellé 


(1)  J.  Doujat,  Prœnotiomon  canonicorum  lib.  V,  Paris   1G87.  iii-4°. 

(2)  Steph.  Baluze,  De  Emendatione  Gratiani.  Paris  1672,  in-8°. 

(3)  A  Bâle  en  1499,  in-4". 

(4j  A  Louvaia  en  1561,  in-fol. 

(5)  Histoire  littéraire  de  la  France,  t  X,  p.  117  et  suiv. 


—   X  — 

frappé  des  fautes  et  des  erreurs  nombreuses  qui  s'é- 
taieut  glissées  dans  les  éditions  du  Décret  et  de  la 
Panormie,  entreprit  un  examen  minutieux  des  textes, 
et  il  eût  donné  certainement  une  édition  plus  correcte 
et  plus  digne  de  notre  auteur;  mais  la  mort,  sans 
doute,  vint  interrompre  son  œuvre  (1). 

Enfin,  dans  notre  siècle  oiî,  pour  éclairer  toute 
question  historique  ou  littéraire  on  aime  à  recourir  aux 
sources,  les  recueils  d'Yves  de  Chartres  devaient  four- 
nir un  nouveau  sujet  d'étude. 

En  effet,  un  Allemand  qui  pourrait  difficilement  re- 
nier son  origine  française,  M.  de  Savigny,  écrivain  et 
jurisconsulte  distingué,  après  avoir  étudié  le  droit 
romain  au  temps  des  empereurs,  voulut  savoir  ce  qu'il 
était  devenu  à  travers  ce  qu'on  a  appelé  les  ténèbres  du 
moyen  âge.  Or,  pour  retrouver  les  traces  des  lois  ro- 
maines, à  cette  époque,  il  n'y  avait  qu'un  seul  moyen  : 
recourir  aux  recueils  de  droit  canon.  Car,  au  temps 
dont  nous  parlons,  le  droit  civil  et  le  droit  ecclésias- 
tique étaient  confondus  :  les  lois  de  l'Église  étaient  les 
mêmes  pour  la  société  civile  que  pour  la  société  reli- 
gieuse ou  plutôt,  il  n'y  avait  alors  qu'une  seule  société  : 
la  société  chrétienne  ;  on  ne  connaissait  point  la  dis- 
tinction qui  s'est  établie  depuis  et  qui  s'accentue 
chaque  jour  davantage;  on  ne  se  doutait  même  pas 
qu'elle  pût  exister. 


(1)  On  peut  voir  à  la  Bibl.  nat.  (nouv.  fonds  lat.),  sous  les  n»'  12317 
et  12318,  les  deux  mss.  qui  devaient  servir  à  cette  édition. 


XI   — 


De  Savigny  aurait  pu  compulser  le  Décr^et  de  Gratien 
et  y  trouver  de  nombreux  fragments  des  lois  romaines  : 
ce  qu'il  a  fait  depuis;  mais  auparavant,  il  tint  à  re- 
monter à  la  source  même  oià  avait  puisé  l'illustre  ca- 
noniste,  c'est-à-dire  à  Yves  de  Chartres,  qui  le  premier 
en  France,  avait  composé  un  recueil  de  droit  canon 
et  y  avait  inséré  un  assez  grand  nombre  de  lois  ro- 
maines (1);  c'était  reconnaître  à  notre  évêque  de 
Chartres,  l'autorité  et  l'importance  de  ses  ouvrages, 
du  moins  au  point  de  vue  historique. 

M.  Ampère  qui  a  donné  de  si  excellentes  études  sur 
YHistoire  littéraire  de  la  France  avant  le  douzième 
siècle,  n'a  point  pu,  lui  non  plus,  éviter  la  grande  figure 
d'Yves  de  Chartres,  ni  passer  sous  silence  ses  ouvrages 
de  droit  canon  :  il  les  regarde  comme  un  monument  du 
génie  et  de  l'État  de  l Église  à  la  fin  du  onzième  siècle  (2). 
Et  c'est  surtout  à  ce  point  de  vue  historique  que  les 
œuvres  de  l'évêque  de  Chartres  ont  la  plus  grande 
importance.  Ces  recueils  ne  paraissent  renfermer 
qu'une  sèche  nomenclature  de  lois  et  de  règles  ecclé- 
siastiques, mais  par  cela  même  qu'ils  nous  donnent 
et  les  décisions  des  pontifes  romains  et  les  canons  des 
conciles,  et  les  coutumes  et  les  mœurs  du  temps,  ils 
retracent  à  nos  yeux  toute  l'histoire  intime  et  exté- 
rieure de  l'Église.  Or,  cette  histoire  n'est-elle  pas  à 


(1)  De  Savigny,  Histoire  du  droit  romain  an  moyen  âge,  4  ia-8°. 
Paris,  1837. 

(2)  Ampère,  Histoire  littéraire  de  la  France,  sous  Gharlemagne  et 
durant  les  dixième  et  onzième  siècles,  t.  III,  p.  381,  in-12. 


—   XII  — 

elle  seule  toute  l'histoire  du  moyen  âge?  Y  en  a-t-il 
une  autre  en  dehors  d'elle?  La  passer  sous  silence 
et  la  supprimer,  mais  ce  serait  supprimer  l'histoire 
elle-même  et  se  condamner  volontairement  à  l'igno- 
rance. Aussi,  tous  les  esprits  sérieux  qui  ont  eu  à 
traiter  des  onzième  et  douzième  siècles  se  sont  bien 
gardés  de  laisser  de  côté  les  recueils  dont  nous  par- 
lons. 

Mais,  parmi  ceux  qui  se  sont  le  plus  occupés  d'Yves 
de  Chartres  et  des  recueils  qu'on  lui  attribue,  il  faut 
mentionner  surtout  l'Allemand  Aug.  Theiner,  bien 
connu  dans  le  monde  savant  de  l'Europe,  et  auquel  le 
Pape  Pie  IX  avait  confié  la  direction  de  la  biblio- 
thèque du  Vatican. 

Dès  1832,  en  collationnant  les  manuscrits  des  on- 
zième et  douzième  siècles,  il  est  frappé  de  la  ressem- 
blance qui  existe  entre  plusieurs  recueils  de  droit 
canon;  il  reconnaît  bientôt  que  leurs  auteurs  se  sont 
copiés  les  uns  les  autres.  Une  de  ces  collections  attira 
particulièrement  son  attention,  c'est  celle  à  laquelle  il 
a  donné  lui-même  le  nom  de  Tripartita.  En  la  compa- 
rant au  Décret  et  à  la  Panormie  d'Yves,  de  Chartres,  il 
demeura  convaincu  qu'elle  avait  dû  servir  de  base  et 
de  matière  première  à  ces  deux  ouvrages  (1).  Il  se  mit 
alors  à  étudier  le  Décret  de  plus  près  :  était-il  antérieur 
ou  postérieur  à  la  collection  Tripartita?  que  lui  avait- 
Il)  Déjà  le  savant  Doujat,  et  après  lui,  les  auteurs  de  VHistoire 
littéraire  avaient  affirmé  qu'Yves  s'était  servi  d'un  autre  recueil. 
Histoire  littéraire,  t.  X,  p.  121. 


—   XIII  — 

il  emprunté?  son  authenticité  surtout  était-elle  bien 
fondée?  Bref,  il  arriva  à  cette  conclusion  :  qu'Yves  de 
Chartres  n'en  pouvait  être  l'auteur  (J). 

Pour  nous,  qui  depuis  longtemps  déjà,  nous  occu- 
pions de  la  vie  et  des  travaux  de  l'Évêque  de  Chartres, 
cette  conclusion  excita  notre  intérêt  et  notre  curiosité  : 
serait-il  donc  possible  que  le  Décret  qu'on  attribue 
depuis  plus  de  trois  siècles  à  Yves  de  Chartres  (3)  et 
qui,  en  partie,  lui  a  fait  sa  réputation  de  canoniste, 
ne  fût  pas  de  lui?  faut-il  donc  admettre  qu'une  erreur 
de  ce  genre  ait  subsisté  pendant  tant  d'années,  sans 
avoir  été  relevée  par  personne?  La  question  nous 
parût  intéressante  à  étudier.  De  plus,  nous  savions 
qu'au  dix-septième  et  au  dix-huitième  siècle  on  avait 
contesté  au  même  auteur  la  paternité  de  la  Panormie; 
il  ne  resterait  donc  plus  rien  à  notre  Évêque  de  Char- 
tres. Comment  se  fait-il  alors  qu'il  ait  toujours  la 
réputation  de  savant,  de  grand  canoniste  Legum  peri- 
tissimus,  et  cela  non  seulement  depuis  trois  cents  ans, 
mais  depuis  sept  à  huit  siècles,  comme  le  témoignent 
ses  contemporains?  Comment  se  fait-il  qu'un  historien 


(1)  Aug.  Theiner,  Ueber  Ivo's  vermeintliches  Dekret.  Mainz  1832, 
in-8°.  (Plaquette).  —  Disquisifiones  in  prœcipuas  canonum  et  Decreta- 
lium  collectiones .  Romae,  1836. 

Theiner  est  mort  il  y  a  deux  ou  trois  ans  à  peine.  Après  bien  des 
recherches  et  des  études  sur  le  droit  canon,  on  ne  voit  pas  qu'il  soit 
revenu  de  son  opinion  sur  le  Décret.  D'ailleurs,  ce  n'était  pas  chez 
lui,  comme  nous  le  verrons,  une  affaire  d'impression,  mais  une 
opinion  fondée  sur  l'examen  des  textes  et  des  manuscrits. 

(2)  La  première  édition,  celle  de  Louvain  remonte  à  1561. 


—  XIV   — 

mort  cinq  ans  avant  lui  parle  de  Vinsigne  volumen 
canonum  qu'il  a  composé  (1)? 

Ces  points  d'interrogation  nous  inquiétèrent,  nous 
résolûmes  alors  de  reprendre  la  question  tout  entière, 
c'est-à-dire  d'étudier  non  pas  seulement  le  Décret, 
mais  la  Panormie  et  la  collection  Triparîita,  de  déter- 
miner les  rapports  qui  existaient  entre  ces  trois  ou- 
vrages et  surtout  de  discuter  à  fond  leur  authenticité. 

En  feuilletant  à  la  Bibliothèque  nationale  les  ma- 
nuscrits de  D.  Gellé,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  nos 
yeux  tombèrent  sur  un  fragment  d'une  préface  dans 
laquelle  le  Bénédictin  affirmait  avoir  en  sa  possession 
(1710)  un  manuscrit  provenant  de  l'Abbaye  de  Notre- 
Dame  de  Josaphat  près  de  Chartres,  lequel  avait  dû 
appartenir  certainement  à  Yves,  et  il  ajoutait  que 
«  d'après  la  tradition,  on  allait  jusqu'à  lui  en  attribuer 
«  la  paternité  (2).  »  Puis,  il  faisait  une  analyse  rapide 
du  manuscrit,  indiquant  sommairement  la  matière  et 
l'ordre  des  sujets  traités.  Après  une  lecture  rapide 
nous  fûmes  immédiatement  convaincu  que  le  manus- 
crit en  question  n'était  autre  que  celui  de  la  collection 
Tripartita  étudiée  par  Theiner. 

Ainsi  se  trouvait  pleinement  confirmée  l'hypothèse 
émise  par  le  savant  allemand  :  à  savoir  qu'Yves  de 
Chartres  avait  eu  entre  les  mains  la  Tripartita  et  qu'il 
y  avait  largement  puisé. 


(1)  Voir  les  témoignages  l'ormels  que  nous  citoûs  dans  le  cliap- 
premier. 

(2)  Mss.  cité  n^  12317,  ibl.  38. 


—  XV   — 

Grâce  à  ce  précieux  renseignement,  ce  qui  n'était 
pour  Theiner  qu'une  probabilité  allait  devenir  pour 
nous  une  certitude;  nous  n'avions  plus  qu'à  nous 
mettre  à  l'œuvre. 

Le  grand  point  de  notre  thèse,  on  le  voit,  est,  avant 
tout,  une  question  d'authenticité,  d'érudition.  Aussi 
ne  nous  occuperons-nous  pas  beaucoup  (1)  du  côté  doc- 
trinal de  ces  recueils,  ni  de  leur  côté  littéraire.  Notre 
travail  est  fait  surtout  au  point  de  vue  de  la  critique 
historique,  bibliographique.  Nous  avons  dû  reprendre 
en  sous -œuvre  les  discussions  de  Theiner  et  consulter 
à  notre  tour  les  manuscrits,  du  moins  ceux  qu'il  nous 
a  été  possible  d'avoir  sous  la  main. 

Ce  travail,  malgré  ses  difficultés  et  son  apparente 
sécheresse  nous  a  semblé  digne  d'attention  et  plein 
d'intérêt.  D'abord,  nous  avions,  pour  exciter  notre 
zèle  et  stimuler  nos  efforts  les  hommes  considérables 
dont  nous  venons  d'énumérer  les  travaux;  ensuite,  il 
s'agissait  d'un  ouvrage  qui,  aujourd'hui  sans  doute, 
n'offre  plus  qu'un  intérêt  secondaire,  mais  qui  au  point 
de  vue  historique,  est,  comme  le  reconnaît  M.  Ampère, 
un  témoin  et  un  monument  curieux  du  génie  et  de  l'état 
de  r Église,  à  la  fin  du  onzième  siècle.  Or,  il  nous  semble 
qu'il  importe  à  l'histoire  de  savoir  si  ce  recueil  qui 
est  édité  depuis  plus  de  trois  cents  ans,  sous  le  nom 
d'Yves  de  Chartres,  est  réellement  son  œuvre,  ou  s'il 


(1)  Nous  y  consacrons  cependant  quelques  développements.  Voir 
chap.  v«  et  vi^. 


—  XVI  — 

est  dû  à  la  plume  de  quelque  compilateur  inconnu  qui 
s'est  abrité  sous  son  nom. 

De  plus,  il  s'ag-it  d'un  écrivain  qui  n'est  pas  un  des 
moindres  et  qui  a  sa  place  marquée  dans  l'histoire 
littéraire  du  onzième  siècle,  dans  cette  seconde  moitié 
qui  s'annonçait  comme  un  réveil  de  l'esprit  humain 
et  faisait  pressentir  déjà  la  gloire  et  l'épanouissement 
du  siècle  suivant.  Il  s'agit  d'Yves  de  Chartres  pour 
lequel  Bossuet  et  un  grand  nombre  de  nos  théologiens 
français,  au  dix-septième  siècle,  avait  la  plus  haute 
estime  et  la  plus  grande  vénération  (1);  il  s'agit  d'un 
écrivain,  d'un  homme,  d'un  évêque  que  l'illustre 
Baronius  ne  craint  pas  d'appeler  «  la  lumière  de  l'occi- 
«  dent,  lagloire  et  l'ornement  de  l'Église  de  France  (3).  » 

Enfin,  ce  travail  nous  fournit  l'occasion  d'étudier 
les  recueils  de  droit  canon  antérieurs  à  celui  d'Yves 
de  Chartres,  de  nous  rendre  compte  de  la  manière 
dont  ils  ont  été  composés,  de  voir  quelle  place  occu- 
pait la  science  du  droit  canon,  dans  ces  siècles  si  peu 
connus  du  moyen  âge,  ce  qu'elle  était  en  particulier 
à  la  fin  du  onzième  siècle  avant  que  Gratien  ne  vînt 
lui  ajouter  Téclat  de  son  talent  et  de  sa  renommée. 

La  solution  de  ces  différentes  données  nous  paraît 
digne  d'intérêt,  aujourd'hui  surtout  oii  l'on  aime  à 
remonter  aux  sources,  oii  la  critique  ne  se  contente 
plus  des  faits  acquis,  transmis  plus  ou  moins  fidèle- 

(1)  On  sait  que  Bossuet  l'appelle  :  «  Vir  y.xvovixôixaTOî.  i  (Defens . 
Clerc.  Gallic,  pars  la,  lib.  III,  c.  xiv). 
(2i  Baronius,  Annal,  ad  an.  1092.  N»  II. 


—  XVII  — 

ment  par  la  tradition,  mais  veut  examiner,  scruter, 
vérifier  par  elle-même  avant  d'énoncer  ses  affirma- 
tions. 

Nous  avons  donc  cru,  en  adoptant  cette  tâche,  rendre 
un  véritable  service  à  l'histoire  de  l'Église  et  à  celle 
de  notre  pays;  trop  heureux,  si  en  réalisant  ce  dessein, 
il  nous  est  donné  à  nous  aussi  d'apporter  notre  pierre 
au  grand  édifice  de  la  critique  historique  qui  sera 
certainement,  entre  autres  titres,  l'honneur  du  dix- 
neuvième  siècle. 


CHAPITRE  PREMIER 


YVES    DE    CHARTRES    CANONISTE 


Parmi  les  belles  et  imposantes  figures  que  nous  présente 
l'histoire  ecclésiastique,  à  la  fin  du  onzième  siècle,  on  peut 
assurément  compter  celle  d'Yves,  évêque  de  Chartres  (1) . 

Grand  évêque,  homme  d'une  érudition  remarquable  pour 
son  temps,  esprit  ferme  et  énergique  et  surtout  éminent  en 
piété  :  tels  sont  les  traits  sous  lesquels  les  auteurs  contempo- 
rains nous  repi'ésentent  cette  intéressante  physionomie. 

Dès  1090,  c'est-à-dire  l'année  même  de  la  consécration 
d'Yves,  le  pape  Urbain  II  s' adressant  aux  fidèles  du  diocèse 
de  Chartres  loue  déjà  la  science  et  la  piété  du  nouvel 
évêque  (2). 

Un  des  écrivains  les  plus  sérieux  et  les  plus  dignes  de  foi  de 
l'époque,  Orderic  Vital,  contemporain  de  notre  prélat,  parle 
de  lui  en  ces  termes  élogieux  :  ((  Eniditissimus  Ivo  cui  per- 
(t  hibet  evidens  testimonium  laus  bonse  vitœ  et  rectse  doc- 
«  trinœ  (3).  »  Et  dans  un  autre  endroit  :  «  Floruit  Ivo  vene- 

(1)  Yves  ué  au  diocèse  de  Beauvais  vers  1040,  fut  élevé  au  siège 
épiscopal  de  Chartres  en  1090,  et  il  mourut  en  H15. 
(î)  Voir  Epist.  UrbanlI.  Patrologie  Lat.,  t.  GLT. 
(3)  Orderic  Vital,  Historia  Ecclesiastica,  lih.  VIII. 

l 


—  so- 
ft rabilis    intcr    iwœcijnios   Francise   Doctores ,    eruditione 
«  litterarum  tàm  divinarum  quam  sœcidariian  (1) .  » 

Ce  témoignage  est  d'autant  plus  précieux  qu'on  sait  que 
cet  historien  n'a  pas  coutume  de  vanter  outre  mesure  les  per- 
sonnages dont  il  parle. 

Une  preuve  évidente  de  la  haute  réputation  que  l'évêque 
de  Chartres  s'était  acquise,  déjà  même  de  son  vivant,  c'est  la 
lettre  que  Hugues,  moine  de  Fleury,  lui  adresse  au  sujet  de 
deux  opuscules  qu'il  avait  composés  et  qu'il  lui  envoie  : 
«  Giorioso  et  sapienti  Jvoiii  Carnotensi  Episcopo  frater 
a  Hugo  monach.  S.  Benedict...  hœc  omnia  vestro  desidero 
«  judicio  discuti  et  vestra  sapientiâ  condiri  quoniam  vacil- 
«  lare  non  potest  qiiod  semel  auctoritatis  vestrœ  nodns  cor- 
«  roboraverit.  »  Un  peu  plus  loin  il  ajoute  :  «  Viro  prudoiti 
«  et  in  siimma  arce  philosophiae  sedenti  (2).  » 

Dans  un  manuscrit  de  la  Bililiothèque  de  Vienne  dont 
l'original  n'est  pas  postérieur  à  l'an  H30,  l'auteur  dit  dans  la 
préface  de  son  ouvrage  :  ((  qu'il  a  parcouru  les  bibliothèques 
«  de  beaucoup  d'églises,  qu'il  y  a  vu  des  traités  d'auteuj's 
«  remarquables  et  que  parmi  ces  auteurs  il  a  pris  pour  mo- 
«  dèle  le  traité  d'Yves  de  Chartres  (3).  »  Avant  d'écrh*e  la 
préface  de  son  livre,  il  place  en  tête  le  prologue  d'Yves, 
comme  pour  se  mettre  sous  le  patronage  et  le  couvert  du 
grand  canoniste.  C'est  ce  qu'il  nous  dit  lui-même  en  termes 
formels  dans  sa  préface  :  «  ut  ip}sa  (écrit-il  en  parlant  de 
«  la  Panormie  d'Yves)  totius  sacrarii  pointa  sit  atque  dux, 
«  qiio  dirigente,  quilibet  ipsiiis  arcana  lustrare  possit  (4) .  » 

Ces  paroles  seules  prouvent  la  grande  réputation  qu'avait 


(1)  Orderic  Yital,  Histona  Ecdesiastica,  lib.  X. 

(2)  C'est  cette  lettre  qui  a  fait  attribuer  à  Yves  de  Chartres,  une 
certaine  histoire  générale  depuis  Ninus  jusqu'à  l'an  1034;  mais  il 
est  démontré  aujourd'hui,  d'après  les  manuscrits,  que  cette  chro- 
nique appartient  à  l'autour  même  de  la  lettre  :  à  Hugues  de  Fleury. 

Voir  une  savante  et  solide  dissertation  sur  ce  point  dans  Pertz, 
Monument.  Germanie,  t.  IX,  p.  341. 

(3)  Cod.  Vindobonens,  Jus  canoiiic.  N°  91,  in-4o. 

(4)  Voir  Theiner,  Uebei-  Yvo's  Dekret,  p.  32,  (note  8). 


—  21   — 

déjà  Yves  de  Chartres,  une  quinzaine  d'années  après  sa  mort. 
Son  nom  est  une  date,  une  époque  :  aussi  un  historien  alle- 
mand Werner  de  Rollewinck  résume-t-il  ainsi  l'histoire  du 
Droit-Canon  :  c  Ivo  Carnotensis  Episcoppus  abbreviando 
<(  compeilavit  Decretum  aj)ostolicum  post  Isidontm,  et  post 
<(  eiiîn  Hugo  Catalaimensis,  post  quem  Gratianus  (1).  » 

Ainsi,  pour  cet  écrivain  il  y  a  trois  grands  noms,  trois 
grandes  dates  dans  cette  histoh^e  :  Isidore  qui  le  premier  a  fait 
un  recueil,  Yves  qui  l'a  abrégé,  et  Gratien  qui  a  résumé  les 
travaux  accomplis  jusqu'à  lui  et  fait  une  œuvre  personnelle. 

Aussi,  ne  faut-il  pas  nous  étonner  qu'un  des  plus  grands 
historiens  de  l'Eglise,  le  cardinal  Baronius  parlant  d'Yves  de 
Chartres  se  laisse  aller  à  l'enthousiasme  et  le  nomme  «  la  lu- 
«  mière  de  l'occident,  la  gloire  de  l'univers,  l'ornement  et 
«  l'honneur  de  l'Église  de  France  (2) .  » 

L'autorité  d'Yves  et  sa  science  sont  donc  incontestables, 
même  dès  son  vivant,  et  aussitôt  après  sa  mort  :  les  témoi- 
gnages que  nous  venons  d'apporter  le  prouvent  suffisamment. 
Mais,  l'idée  qui  s'est  attachée  au  nom  d'Yves  de  Chartres 
dans  l'histoire  de  l'ÉgUse,  la  réputation  qu'il  y  a  acquise  est 
celle  de  grand  canoniste  :  celle-là  prime  toutes  les  autres. 

Aussi,  moins  de  quarante  ans  après  la  mort  de  l'évêque  de 
Chartres,  le  Chroniqueur  d'Auxerre  le  reconnaît-il  «  comme 
«  un  écrivain  très  habile  dans  la  science  des  saints  canons  et 
«  des  lois  civiles  (3).  » 

En  effet,  Yves  tient  sa  place  parmi  les  grandes  figures  qui 
apparaissent  à  la  fin  du  onzième  siècle,  à  ce  nouveau  réveil  de 
l'esprit  humain  qui  va  s'étendre  dans  tout  le  douzième  et 
s'épanouir  au  treizième  avec  les  Pierre  Lombard,  les  Albert 
le  Grand  et  les  saint  Thomas  d'Aquin. 

Quand  un  mouvement  soit  politique,  soit  littéraire  se  pro- 

(1)  Pistorius,  Script,  rer.  Germ.,  t.  II,  p.  545,  ad  an.  1104.  Ratis- 
bonfe,  1726,  fol. 

(2)  Lucerna  quippè  Occidentalis,  orbis  deciis,  ornamentum  ac  fulgor 
ecclestœ  Gallicanœ.  Baronius  Ann.  ad  an.  1092.  N"  2. 

(3)  Decretorum  ac  Legum peritissimus ,  chronic.  Antissiodor.  an  1154. 


9C>   


duit  chez  un  peuple,  ce  n'est  jamais  au  moment  où  il  éclate,  ni 
clans  les  hommes  ou  les  auteurs  du  temps  qu'il  faut  en  cher- 
cher les  causes,  mais  il  faut  remonter  beaucoup  plus  haut,  et 
d'autant  plus  haut  que  le  mouvement  est  plus  prononcé  : 
notre  histoire  en  particuher  fournirait  sur  ce  point  plus  d^une 
preuve.  Si  donc  on  veut  se  rendre  compte  du  réveil  littéraire, 
philosophique  et  théologique  du  douzième  siècle,  il  faut 
remonter  plus  haut  :  au  moins  jusqu'au  milieu  du  onzième. 

En  effet,  c'est  vers  cette  époque  que  le  mouvement  com- 
mence à  se  produire.  Jusques  là  les  écoles,  môme  les  plus 
célèbres,  avaient  sommeillé  quelque  peu;  le  noble  élan  im- 
primé à  l'étude  des  Lettres  par  Charlemagne  s'était  bien 
ralenti,  pendant  ce  dixième  siècle  que  Baronius  appelle 
sœculum  œneum  et  jilumhœum  et  aussi  pendant  une  partie 
du  onzième. 

Mais  voici  que  l'esprit  humain  se  réveille,  il  devient  cu- 
rieux, chercheur,  se  pose  des  questions  ;  on  commence  à  étu- 
dier de  plus  près  les  vérités  et  les  grands  mystères  de  la 
religion  :  la  Trinité,  l'Incarnation,  l'Eucharistie  fl),  des 
discussions  s'élèvent  de  tous  côtés,  mais  on  respecte  toujours 
l'autorité  de  l'enseignement  de  l'Église  :  Abelard  et  les  scolas- 
tiques  disputeurs  n'ont  pas  encore  fait  leur  entrée  en  scène. 
Néanmoins,  même  les  plus  autoritaires  comme  saint  Anselme 
et  Lanfranc  vont  imprimer  à  l'enseignement  de  la  théolo- 
gie et  de  la  philosophie  une  autre  direction,  une  autre 
forme. 

C'est  à  l'école  du  Bec,  vers  1040,  que  va  se  traduire  et  se 
concentre!'  ce  mouvement,  du  moins  pour  le  moment.  Lan- 
franc et  saint  Ansehne  surtout  vont  donner  à  l'étude  du 
dogme  et  de  la  philosophie  un  cachet  plus  scientifique,  plus 
raisonné  :  on  se  gardera  bien  de  soulever  le  moindre  doute, 
mais  on  cherchera  des  explications,  on  cherchera  à  justifier 
sa  croyance  par  le  raisonnement  :  ce  sera  le  Fides  quœrcns 
intellcctum.  Le  dogme  et  l'enseignement  philosophique  auront 

(I)  Voir  Guilmoiul,  Futroluyie Lai.,  t.  GXLIX. 


—  23  — 

ainsi  leurs  représentants  dans  cette  dernière  moitié  du  onzième 
siècle. 

A  côté  de  saint  Anselme,  apparaîtra  un  peu  plus  tard  un 
autre  évêque  à  l'esprit  moins  élevé,  moins  philosophique,  qui 
cherchera  surtout  à  dégager  de  l'étude  et  de  l'enseignement 
du  dogme  la  partie  morale.  Ce  sera  Hildebert  du  Mans  dont 
les  nombreux  ouvrages  exciteront  le  zèle  et  l'ardeur  de  ses 
contemporains  (1). 

Mais  le  dogme  et  la  morale  ne  suffisent  pas  pour  constituer 
l'enseignement  théologique  complet  :  il  faut  y  ajouter  ce  qu'on 
appelle  la  Discipline,  c'est-à-dire  un  ensemble  de  règles  pra- 
tiques qui  permettent  au  professeur  et  au  casuiste  de  des- 
cendre des  hauteurs  du  dogme  et  de  la  morale  jusque  dans 
les  détails  de  la  vie  quotidienne  des  clercs  et  des  fidèles,  en 
un  mot,  un  cours  de  législation  pratique.  En  aucun  temps, 
l'Église  n'a  négligé  cet  enseignement,  elle  y  a  toujours 
attaché  une  grande  importance  :  la  preuve  la  plus  évidente, 
c'est  le  nombre  extraordinaire  des  conciles  et  surtout  les 
très  nombreuses  prescriptions  et  canons  de  ces  conciles  qui, 
le  plus  souvent,  semblent  s'occuper  presque  exclusivement, 
de  ces  règles  de  la  vie  pratique. 

Or,  c'est  cette  troisième  branche  de  théologie  que  repré- 
sente l'Evêque  de  Chartres,  dans  la  seconde  moitié  du  on- 
zième siècle.  Yves  fit  de  l'étude  des  saints  canons,  l'objet 
de  toute  sa  vie  :  nous  pouvons  le  constater  en  parcourant  les 
détails  de  sa  carrière,  depuis  son  séjour  à  l'abbaye  de  Saint- 
Quentin,  jusqu'à  la  fin  de  son  épiscopat. 

Aussi,  tout  le  monde  s'adresse  à  lui  :  moines,  abbés,  cha- 
pitres, évêques,  rois,  et  mêmes  les  Papes,  pour  connaître 
son  sentiment  et  sa  décision  dans  beaucoup  de  questions  qui 
appartiennent  au  droit  canon.  La  collection  de  ses  Lettres, 
que  nous  avons  étudiées  avec  un  soin  minutieux,  nous  prouve 
la  même  chose  :  plus  des  deux  tiers  sont  des  réponses  à  des 


[\]  Yoiv  Hi^foire  littéraire  de  la  France,  t.  XI,  p.  404-412. 


—  24  — 

consultations  qui  lui  sont  adressées  (1).  Enfin,  ses  ouvrages 
de  droit  canon  nous  montrent  avec  quel  soin  il  avait  étudié 
ces  questions  de  règles  pratiques  et  quelle  était  sa  science 
sur  ce  point  (2) . 

C'est  donc  comme  canoniste  que  nous  nous  proposons  de 
présenter  Yves  de  Chartres  :  nous  ne  dirons  rien  de  sa  vie 
dont  l'influence  fut  considérable  sur  ses  contemporains;  ni 
de  ses  Lettres  qui  sont  pour  la  France  un  véritable  monument 
historique;  ni  de  ses  sermons  qui  ne  sont  pas  les  moindres 
de  ce  siècle  ;  ni  enfin  de  ses  autres  écrits  qui  sont  très  nom- 
breux. Notre  travail  portera  uniquement  sur  ses  ouvrages  de 
droit  canon  qui  occupent  une  si  large  place  dans  l'histoire 
ecclésiastique,  avant  l'apparition  du  Décret  de  Gratien,  et 
dont  la  paternité  lui  a  été  plus  d'une  fois  contestée.  C'est 
surtout  sur  ce  dernier  point,  en  particulier,  que  se  concentrera 
notre  attention  :  des  ouvrages  comme  le  Décret  et  la  Pa- 
normie  ne  peuvent  guère  s'analyser. 

Mais  avant  d'entrer  dans  la  discussion,  il  nous  semble  néces- 
saire d'exposer  ou  du  moins  de  résumer  l'histoire  du  droit 
canon  jusqu'au  temps  d'Yves  de  Chartres  et  de  dire  où  en 
était  cette  science,  au  moment  où  le  futur  Évêque  de  Char- 
tres, à  la  tête  de  l'abbaye  de  Saint-Quentin,  s'occupa  d'y 
enseigner  la  théologie  et  probablement  aussi  d'y  composer 
ses  ouvrages  de  droit  canon. 

Primitivement,  l'Eglise  ne  possédait  d'autres  recueils  des 
saints  canons  que  les  décisions  des  conciles  transmis  fidèle- 
ment par  la  tradition,  ainsi  que  par  les  écrits  des  Saints  Pères  et 
des  autres  écrivains  ecclésiastiques.  Nous  ne  parlons  pas  des 
Canons  apostoliques  (3),  ni  des  Constitutions  apostoliques 
dont  l'authenticité  est  loin  d'être  certaine. 

La  première  collection  qui  apparaisse  avec  un  titre  spécial 


(1)  Nous  possédons  d'Yves  de  Chartres,  plus  de  trois  cents  lettres. 

(2)  y  oh'  Histoire  littéraire,  t.  X.  p.  117  et  suiv. 

(3)  Ces  canons  ont  été  insérés  dans  le  Corpus  Juris  canonic.  à  la 
suite  du  Décret  de  Gratien. 


—  25  — 

est  celle  qui  fut  publiée  ou  mise  en  ordre  vers  le  milieu  du 
sixième  siècle  (5ZiO),  par  Denys  le  Petit  et  qui  est  ordinaire- 
ment appelée  :  Codex  canonum  Ecclesise  Romanas  (1).  Ce 
recueil  a  une  importance  particulière,  en  ce  qu'il  contient 
à  la  fois  les  canons  des  conciles  tenus  en  Orient,  pendant 
le  quatrième  siècle,  et  ceux  des  conciles  d'Occident,  en 
particulier  ceux  du  célèbre  concile  de  Sardique  (3Zi7),  dont 
l'autorité  est  devenue  si  considérable  dans  l'Eglise.  Il  con  ■ 
tient  également  les  canons  des  conciles  de  Carthage  recueillis 
dans  le  Code  de  l'Eglise  d'Afrique  si  important  au  point  de 
vue  de  la  tradition,  ainsi  que  les  décrétales  des  Papes  du 
cinquième  siècle,  depuis  le  pontificat  de  Zozime  jusqu'à  celui 
d'Anastase  II  (/i98).  Cette  collection  résumait  presque  la  tradi- 
tion universelle  de  l'Église  à  cette  époque;  aussi,  acquit-elle 
bientôt  ce  degré  d'autorité  qui  s'attache  aux  œuvres  publi- 
quement reconnues.  L'illustre  Gassiodore,  auteur  contempo- 
rain nous  apprend  «  quelle  était  devenue  comme  le  code  de 
l'Église  romaine  (2).  »  Cette  collection  porte  également  dans 
l'histoire  du  droit  canon  le  titre  de  Collectio  Dijonisio- 
Adriaiia,  par  suite  de  la  révision  que  le  pape  Adrien  I"  en 
fit  faire,  à  la  fin  du  huitième  siècle  (3). 

Le  sixième  siècle  vit  paraître  le  Regestum  Epistolarwn  de 
samt  Grégoire  le  Grand,  qui  est  un  des  plus  précieux  recueils 
des  éléments  du  droitecclesiastique.il  est  peu  de  matières 
importantes  dont  ce  saint  pape  n'ait  eu  à  s'occuper  dans  sa 
vaste  correspondance,  et  pour  lesquelles  il  n'ait  pas  donné 
une  solution. 


(1)  Le  moine  Denys,  surnommé  le  Petit,  était  originaire  de  la 
Scythie;  mais  il  était  établi  à  Rome  où  il  jouissait  d'une  grande 
réputation  de  science  et  de  vertu. 

(2)  «  Dyonisius  canones  ecclesiasticos  composait  quos  hodie  usa  celeher- 
rimo  Ecdesia  Romana  complectitur .  »  Cassiod.  Div.  Lect.  c.  xxiii 

—  IjC  Code  de  l'Église  d'Afrique  inséré  dans  la  collection  de  Denys, 
fut  également  reçu  au  siècle- suivant,  par  l'Église  grecque  dans  le 
fameux  Concile  Quinisexte  ou  in  Trullo  (690). 

(3)  C'est  ce  recueil  qu'Adrien  I"''  envoya  à  Gharlemagae  en  795, 
et  qui  devint  le  code  de  l'empire  franck  et  de  l'Église  gallicane. 


~  2G  — 

Vers  le  milieu  du  septième  siècle  apparaît  une  autre  col- 
lection qui  a  un  nom  bien  connu  dans  l'histoire  du  droit 
canon,  parce  qu'elle  a  été  souvent  confondue  avec  celle  du 
Pseudo-Isidore  :  c'est  la  collection  dite  Hispanique  attri- 
buée à  saint  Isidore  de  Séville,  mort  en  636.  Elle  a  ordinai- 
rement pour  titre  :  Collectio  canonum  Ecclesiae  universss 
Isidoriana.  Elle  est  divisée  comme  le  recueil  de  Denys  en 
deux  parties  :  la  première  comprend  presque  tous  les  canons 
des  conciles  cités  par  cet  auteui",  plus  divers  conciles  des 
Gaules  et  d'Espagne  que  ne  contient  pas  le  Code  des  Ca- 
nons. La  deuxième  partie  comprend  les  décrétales  des  Papes 
publiées  déjà  par  Denys,  plus  les  canons  du  quatrième  concile 
de  Tolède,  tenu  en  633,  et  quelques  rescrits  de  saint  Grégoire 
Grand.  Cette  collection  a  reçu  dans  la  suite  de  nombreux 
accroissements  (1). 

Nous  franchissons  le  huitième  siècle  tout  entier  jusqu'au 
milieu  du  neuvième,  après  Charlemagne,  et  nous  voyons  se 
produire  dans  le  public  la  fameuse  collection  du  Pseudo-Isi- 
dore ou  à' Isidoi'e  Mercator  dont  l'autorité  fut  si  longtemps 
incontestée  dans  l'Église.  Nous  n'avons  pas  à  discuter  ici  ni 
à  examiner  cette  collection  qui  contient  de  si  nombreuses 
décrétales  dont  la  fausseté  est  aujourd'hui  démontrée  (2)  ; 
mais  il  est  incontestable  qu'elle  exerça  une  très  grande 
influence  et  jouit  d'une  immense  autorité  non  seulement  au 
neuvième  siècle  mais  pendant  tout  le  moyen  âge  et  jusqu'au 
seizième  siècle  (3).  Nul  écrivain,  pendant  cette  période  ne 
songea  à  en  contester  la  légitimité,  et  aussi  voyons-nous  tous 
les  auteurs  de  recueils  ou  collections  de  droit  canon  copier 
sans  la  moindre  hésitation,  la  séiie  de  ces  fausses  décrétales 
qui  finirent  par  faire  loi  dans  l'ÉgUse. 


(1)  Voir  'BdXlçxim,  Appendix  ad  opéra,  S.Leouis.  Pars  m,  c.  iv  et  v. 

d)  On  peut  consulter  avec  fruit,  les  rt'cents  travaux  faits  sur  cette 
collection  dans  la  Revue  des  Questions  [historiques.  (V.  Avant-propos, 
note  2). 

(3)  Le  cardinal  iY/co/as  f/e  Cnsa  mort  en  l'iG'i,  fat  le  premier  parmi 
les  catholiques  qui  éleva  des  doutes  sur  cette  collection. 


—  27  — 

A  peu  près  vers  le  même  temps  (entre  883  et  897),  nous 
trouvons  la  collection  connue  sous  le  nom  de  CoUectio  A?î- 
selmo  dedicata  (1). 

Un  autre  recueil  moins  important,  qui  parut  au  commen- 
cement du  dixième  siècle,  est  celui  de  Reginon  de  Prûmn{^). 
Il  fut  mis  à  contribution  ainsi  que  le  précédent  par  les  auteurs 
qui  suivirent,  surtout  par  Burchard,  évêque  de  Worms,  dont 
nous  allons  parler. 

L'ouvrage  de  l'Évêque  de  Worms  (3),  qui  remonte  au  com- 
mencement du  onzième  siècle  (vers  1022),  a  une  véritable 
importance,  puisque  Yves  de  Chartres,  notre  auteur,  et  après 
lui  Gratien,  non  seulement  y  ont  puisé  à  pleines  mains,  mais 
l'ont  même  reproduit  en  beaucoup  d'endroits,  textuellement. 

Burchard,  lui-même,  avait  fait  de  très  nombreux  emprunts 
à  la  Collection  dédiée  à  knselme;  on  peut  même  dire  qu'il  y 
a  puisé  une  grande  partie  de  son  recueil  :  à  ce  point  que  sou- 
vent en  tête  des  chapitres  il  a  repi'oduit  sans  y  changer  un 
seul  mot,  les  sommaires  et  inscriptions  qu'il  y  a  trouvés. 
Avant  lui,  on  ne  connaissait,  en  France  et  en  Allemagne  que 
le  maigre  recueil  de  Reginon  de  Priimn  ;  Burchard  le  mit  à 
profit;  mais  comme  il  avait  vécu  en  Italie,  il  eut  l'occasion  de 
connaître  la  collection  de  Milan;  aussi  dans  le  recueil  qu'il 
composa  et  auquel  il  donna  plus  d'étendue,  il  fit  entrer  tous 


(1)  La  Préface  commence  ainsi  :  «  Magniftco  archipreesuli  Anselmo. 
—  Ballenni,  op.  cit.,  pars,  iv,  ex.  —  Mss.  Sor bonne.  N^  841. 

Ce  recueil  doit  dater  de  la  fin  du  neuvième  siècle;  car  des  trois 
évêques  de  Milan  qui  portèrent  le  nom  d'Anselme,  le  premier  au 
commencement  du  neuvième  siècle,  le  deuxième  à  la  fin  de  ce  même 
siècle  et  le  troisième  au  milieu  du  onzième,  ce  ne  peut  être  que  le 
second.  Le  premier  est  trop  ancien  :  le  recueil  contient  des  fragments 
du  jL)d'e«c/o  Isidore  et  deux  constitutions  de  l'empereur  Lothaire;et 
le  troisième  serait  trop  moderne,  puisqu'on  a  de  cette  collection  des 
manuscrits  qui  datent  du  dixième  siècle.  L'évèque  Anselme  auquel 
elle  est  dédiée,  doit  donc  être  le  second,  c'est-à-dire  celui  qui  gou- 
verna l'Église  de  Milan  de  883  à  897. 

(2)  Voici  le  titre  de  ce  recueil  :  Reginonis  abb .  Prumniensis  Libriduo 
de  ecclesiastica  disciplina.  Paris,  1671. 

(3)  Burchardi  Wormatiensis  Decretorum,  lib.  XX.  Paris,  1549. 


—  28  — 

les  décrets  et  canons  que  cette  collection  put  lui  fournir.  Si 
donc  on  voulait  chercher  dans  le  recueil  de  l'Évêque  de 
Worms,  ce  qui  lui  appartient  en  propre,  il  faudrait  avoir 
sous  les  yeux  la  collection  italienne,  comme  il  l'a  eue  certai- 
nement lui-même. 

La  collection  Cœsaraugiistana,  dont  on  ne  connaît  pas 
l'auteur,  date  également  de  la  même  époque  :  les  manuscrits 
qui  remontent  à  la  fin  du  onzième  siècle,  ne  se  trouvent  qu'en 
Espagne,  principalement  à  Saragosse.  Quelques  auteurs  ont 
voulu  l'attribuer  à  Hildebert  du  Mans  ;  mais  il  serait  bien 
étonnant  qu'un  livre  fait  par  un  Français,  n'eût  que  des 
manuscrits  espagnols;  c'est  sans  doute  une  ce  ces  nom- 
breuses collections  anonymes,  qui  au  onzième  siècle,  ont  surgi 
de  toutes  parts,  comme  nous  le  verrons  dans  la  suite  de  ce 
travail. 

Enfin,  nous  arrivons  à  la  Collectio  Tripartita  (1),  ainsi 
appelée  par  le  savant  Theiner,  et  qui  elle  aussi,  comme  nous 
le  verrons  plus  bas,  date  du  onzième  siècle  (2). 

Ce  recueil  a  cela  de  particulier,  qu'il  est  divisé  non  pas  par 
ordre  de  matières,  comme  la  plupart  des  autres  collections  de 
cette  époque,  mais  d'après  les  sources  d'où  sont  tirés  les 
documents.  Ainsi,  la  première  partie  contient  les  Décrétales 
vraies  ou  fausses,  dans  l'ordre  chronologique  où  elles  ont  été 
écrites  ;  la  deuxième  partie  renferme  les  canons  des  conciles 
toujours  d'après  l'ordre  chronologique  ;  enfin  la  troisième 
partie  contient  de  nombreux  extraits  des  Pères  de  l'Église, 
ainsi  que  des  fragments  des  lois  romaines,  le  tout  divisé  en 
vingt-neuf  rubriques. 

(1)  Nous  consacrons  à  cette  collection,  tout  un  chapitre  de  notre 
thèse.  Voir  chap.  m. 

(2)  Il  y  a  ici,  une  raison  décisive  :  c'est  que  parmi  les  Décrétales 
qui,  dans  ce  recueil,  sont  mises  par  ordre  do  dates,  il  n'y  en  a  pas 
une  seule  qui  soit  postérieure  à  Urbain  II  (f  en  1099). 

Consulter  sur  cette  collection  :  Theiner,  TJeber  Yvd's  Dekret,  p.  17- 
2G.  —  Savigny,  ouvrage  cité,  t.  II,  §  10-5  +  %  109.  —  Ballerini,  ou- 
vrage cité,  pars  iv,  c.  xviii.  —  Mss,  de  la  Biblioth.  nationale.  iS"*  3858 
H-  3858  a  -j-  3858  b  +  4282.  —  Mss  de  Berlin.  (Mss.  Lat.  N°  197). 


—  29  — 

Tels  étaient  les  principaux  ouvrages  et  les  travaux  les  plus 
connus  sur  le  droit  canon,  au  moment  où  Yves  de  Chartres, 
sortant  de  l'école  du  Bec,  fonda  avec  Gui,  évêque  de  Beauvais, 
l'abbaye  de  Saint-Quentin. 

Plein  de  l'enseignement  qu'il  avait  reçu  de  la  bouche  de 
Lanfranc  et  de  saint  Anselme,  Yves,  on  le  devine,  surtout 
quand  on  connaît  le  zèle  qui  l'animait  à  l'endroit  des  choses 
de  Dieu  et  de  son  Eglise,  se  hâta  de  transmettre  à  ses  disciples 
la  doctrine  qu'il  avait  puisée  dans  la  célèbre  école. 

Il  ouvrit  certainement,  dans  la  nouvelle  abbaye,  une  école 
de  théologie  (1),  et  nul  doute  qu'il  n'y  enseignât  en  même 
temps  le  droit  canon.  Car  ces  deux  sciences,  quoiqu'elles 
aient  fait  plus  tard  l'objet  d'un  enseignement  différent,  au 
fond  se  touchent  et  se  tiennent  étroitement  liées  :  les  pres- 
criptions du  droit  canon  découlent  des  principes  de  l'en- 
seignement dogmatique  et  moral.  La  séparation  qui  a  été 
faite  plus  tard  de  ces  deux  enseignements,  n^existait  pas 
alors  :  il  suffit,  pour  s'en  convaincre,  de  jeter  les  yeux  sur 
les  recueils  de  droit  canon  de  ce  temps  là.  Voyez  la  Panormie 
d'Yves  de  Chartres  :  de  quoi  traite -t-el le?  De  Baptismo^  de 
Confirmatione^  de  Sacramento  corporis  Domini^  de  Pri- 
matu  Romanee  ecclesiœ^  etc. 

Est-ce  autre  chose  que  de  la  théologie  ? 

Yves  a  donc  dû  enseigner  avec  le  dogme  et  la  morale,  le 
droit  canon  dans  son  école  de  Saint-Quentin  ;  et  pour  nous 
qui  avons  étudié  de  près  les  différentes  phases  de  sa  carrière 
épiscopale,  qui  avons  essayé  d'établir  une  chronologie  cer- 
taine dans  sa  nombreuse  correspondance,  il  nous  semble 
presque  impossible  qu'il  ait  trouvé  le  temps  de  composer  de 
pareils  ouvrages,  après  son  élévation  à  l'épiscopat;  il  y  a 
donc  tout  lieu  de  supposer  qu'il  les  a  rédigés  étant  encore 
Abbé,  et  qu'ils  ne  sont  que  le  résumé  et  l'objet  de  ses  leçons. 


(1)  Sa  longue  lettre  (Epist.  287),  la  seule  que  nous  possédions  de  lui 
avant  son  épiscopat,  adressée  à  l'abbé  Haimeri,  prouve  qu'on  s'oc- 
cupait beaucoup  de  théologie  à  l'abbaye  de  Saint-Quentin. 


—  30  — 

L'auteur  de  la  Panormie  en  dix  livres  (1),  dont  nous 
parlerons  bientôt  ne  dit-il  pas  dans  sa  préface  :  «  Tractatum 
«  quem  venerahilis  Ivo  Carnotensis  luculento  admodiim 
«  sermone  dictavit  (2)  ?  »  L'auteur  de  cet  abrégé,  surtout  si 
comme  le  prétend  Theiner,  c'est  Hildebert  du  Mans  (3),  devait 
savoir  si  Yves  «■  avait  dicté  ses  leçuns.  »  Personne  n'ignore 
qu'ils  étaient  liés  d'une  étroite  amitié  :  leurs  letti  es  en  font 
foi. 

On  pourrait  même  admettre,  sans  aller  contre  la  vraisem- 
blance des  faits,  qu'Yves  a  enseigné  à  ses  élèves  le  droit  civil. 
N'avait-il  pas  assisté  aux  leçons  de  Lanfranc  à  l'école  du 
Bec?  Or,  on  sait  qu'avant  de  se  faire  moine,  Lanfranc  avait 
publiquement  professé  le  droit  civil  à  Bologne.  Qu'y  aurait-il 
d'étonnant  qu'il  ait  continué  son  rôle  auprès  de  ses  nouveaux 
disciples,  et  qu'Yves  à  son  tour  n'ait  transmis  à  ses  élèves  de 
Saint-Quentin  les  leçons  de  son  docte  maître?  Il  n'y  aurait 
rien  là  d'invraisemblable,  surtout  si  l'on  tient  compte  de  la 
recrudescence  des  études  du  droit  civil,  au  temps  où  notre 
auteur  était  à  la  tête  de  son  abbaye  {h). 

Enfin,  quoiqu'il  en  soit,  qu'Yves  de  Chartres  ait  enseigné 
ou  non  le  droit  canon  et  le  droit  civil,  il  y  a  une  chose  cer- 
taine :  c'est  qu'il  fut  un  grand  canoniste  et  qu'il  est  auteur 
au  moins  d'un  traité  sur  le  droit  canon. 

C'est  ce  premier  point  que  nous  voulons  avant  tout  mettre 
hors  de  doute,  avant  de  discuter  sur  la  patei'nité  de  certains 
recueils  qui  doivent  être  oui  ou  non  attribués  à  Yves  de 
Chartres, 

Et  ici,  les  témoignages  abondent  ;  et  ces  témoignages  sont 
d'autant  plus  précieux  et  plus  forts  qu'ils  sont  plus  près  du 
temps  où  vivait  notre  auteur. 

Nous   avons   d'abord  celui   du  chroniqueur  Sigebert  de 


(1)  Cod.  Vinrlobonens.  Jas  canonic.  N"  95. 

(2)  Thciaer,  ouvrage  cité,  p.  32  (note  8). 

(3)  Ibid.,  p.  3C-39 

(4)  Histoire  littéraire,  t.  VIT,  p.  150-152. 


—  31  — 

Gemblours  qui  meurt  quatre  ans  avant  Yves  et  dit  de  lui  : 
«  Ivo  Carnotensis  episcopus  compostât  insigne  volumen  ca- 
«  nonwn  (1)  ». 

Déjà  en  1130,  quinze  ans  après  la  mort  de  notre  évêque 
l'auteur  de  la  vie  de  Gui  évêque  du  Ma?is  raconte  que  cet 
évêque  a  fait  présent  à  l'église  du  Mans  des  Décréta  Ivonis  (2). 

A  la  même  date,  nous  avons  déjà  cité  l'auteur  de  la 
Panormie  en  dix  livres,  qui,  non  seulement  affirme  qu'Yves 
est  auteur  d'un  recueil  de  droit  canon  mais  que  lui-même  a 
pris  soin  d'abréger  ce  recueil  en  le  suivant  pas  à  pas  (3).  Ce 
témoignage  à  lui  seul  tiré  d'un  manuscrit  d'une  date  certaine 
suffirait  pour  prouver  ce  que  nous  avançons. 

Le  Chroniqueur  de  Tours  n'est  pas  moins  précis  :  «  Ivo 
«  vità  et  scientià  clams  inter  alia  opéra  sua  vohonen  illud 
«  qiiod  Decretiim  dicunt,  sagaciter  compilavit  {à)  » . 

Pagi,  le  commentateur  et  l'annotatem'  de  Baronius  cite  le 
témoignage  non  moins  positif  de  Trithème  qui,  on  le  sait,  est 
un  auteur  sérieux,  et  n'écrit  jamais  que  sur  des  documents 
antérieurs  :  «  Scripsit  Ivo,  dit-il,  ex  canonibus  sanctorum 
«  patrum  coinpendiosum  Decretum  quo^  ante  Gratiani  tem- 
«  pora^  iitebantur  juristse  quod  prœnotavit  Panormiam. 
«  Claruit  sub  Henric  IV  an  1090  (5)  ». 

Enfin,  nous  avons  un  témoignage  plus  précieux  encore  que 
tous  ceux  que  nous  venons  de  citer  :  c'est  celui  d'Yves  de 
Chartres  lui-même,  dans  la  lettre  qu'il  adi'esse  à  Ponce,  abbé 
de  Cluny  :  «  Je  vous  envoie,  dit-il,  mes  collections  de  canons 
((  et  mes  autres  opuscules  que  vous  m'avez  demandés  (6)  »  . 

Devant  une  affirmation  aussi  claire  et  aussi  formelle  il  n'y 


(1)  De   scriptoribus   ecclesiast.,  cap.    167.  Éd.   F.   A.   Fabricius   in 
Biblioth.  ecclesiast.  Hamburgi,  1718,  fol. 

(2)  Histoire  littéraire,  t.  X,  p.  135. 

(3)  Y.  plus  haut,  p.  20. 

(4)  Voir  Recueil  des  historiens  des  Gaules,  t.  XII,  p.  468. 

(5)  Annal.  Barom.  ad  an.  1117.  N°  xv. 

(6)  «  CoUectiones  canonum  quas  a  me  postulastis  et  opuscula  meti  quœ 
«  his  addi  voluistis  transmisi  vobis.  »  (Yv.  Epist.  262.) 


—  32  — 

a  plus  rien  à  ajouter.  Il  est  clone  inutile  de  citer  à  Tappui  de 
notre  thèse  les  nombreux  manuscrits  de  la  Panormie  qui  se 
trouvaient  dans  presque  toutes  les  bibliothèques  des  couvents 
avant  la  Révolution  et  dont  un  grand  nombre  existent  encore 
aujourd'hui  à  la  Bibliothèque  nationale  {\)  et  dans  beaucoup 
d'autres  bibliothèques  de  France  (2). 

Voilà  donc  un  point  hors  de  doute  et  complètement  acquis 
à  notre  thèse  :  c'est  qu'Yves  de  Chartres  était,  de  son  temps, 
déjà,  un  canoniste  de  haute  réputation  et  qu'il  a  composé 
des  ouvrages  ou  du  moins  un  ouvrage  sur  le  droit  canon. 

Mais  quel  est  cet  ouvrage?  Est-ce  la  Panormie  divisée  en 
huit  livres  et  dont  nous  avons  aujourd'hui  en  mains  tant  de 
manuscrits  et  trois  éditions? 

Est-ce  le  Décret  dont  nous  possédons  quatre  ou  cinq  ma- 
nuscrits et  également  trois  éditions? 

Est-ce  enfin  la  Collectio  Tripartita  si  bien  étudiée  par 
Theiner  et  antérieure,  suivant  lui,  à  notre  évêque  de  Chartres? 

Autant  de  questions  que  nous  allons  étudier  à  fond,  et 
discuter  séparément,  d'après  le  manuscrit  de  D.  Gellé  Béné- 
dictin de  Saint- Germain  des  Prés  et  d'après  les  travaux  des 
frères  Ballerini,  de  Theiner  et  des  autres  auteurs  allemands 
les  plus  récents. 

(1)  Voir  ancien  catalogue  de  la  Biblioth.  royale,  in-fol.  —  Nouv. 
catal.  de  l'anc.  fonds  latiu,  par  M.  L.  Delisle,  in-S». 

(2)  Vincent  de  Beauvais,  dans  son  grand  ouvrage  Spéculum  histo- 
riale,  nous  apprend  que  de  son  temps,  c'est-à-dire  vers  la  fin  du 
douzième  siècle,  les  mss.  d'Yves  de  Chartres  étaient  très  répandus. 
«  Hic  Liber  Decretorum  Ivonis  apud  nos  in  plurimis  locis  reperitur,  » 
Speciil.  Imtor.,  lib,,  XXVI,  c.  lxxxiv. 


CHAPITRE    II 


LA  PANORMIE 


Parmi  les  questions  soulevées  au  sujet  des  Recueils  de  droit 
canon  attribués  à  Yves  de  Chartres  celle  dont  la  solution  est 
la  plus  certaine  et  la  mieux  assise,  est  celle  qui  attribue  à 
notre  évêque  la  paternité  de  la  Panormie.  Aussi  est-ce  par 
elle  que  nous  abordons  la  discussion  qui  fait  l'objet  de  notre 
travail. 

Yves  de  Chartres  est-il  l'auteur  de  la  Panormie  ? 

Nous  pouvons  répondre  affirmativement  à  cette  question  et 
justifier  notre  conviction  sur  ce  premier  point. 

Examinons  tout  d'abord  les  assertions  de  quelques  auteurs 
qui  se  sont  laissés  prendre  à  certains  titres  de  recueils  et  se 
sont  rangés  à  l'opinion  contraire. 

Ainsi,  le  P.  Labbe,  l'auteur  du  Recueil  des  Conciles,  refuse 
à  r  évêque  de  Chartres  la  paternité  de  la  Panormie  parce 
qu'il  a  vu  dans  certains  manuscrits  des  documents  émanant 
de  Calliste  II  et  d'Innocent  II  son  successeur,  qui  n'occupèrent 
le  siège  pontifical  cjiie  plusieurs  années  après  la  mort  d'Yves  : 
il  en  tire  cette  conclusion  que  la  Panormie  lui  est  posté- 
rieure (1). 

D'abord,  on  peut  répondre  qu'il  y  a  de  nombreux  et  de 

(1)  V.  Doujat,  Prœnotmies  criticœ.  Paris,  1687,  lib.  III,  cap.  28.  N»  4. 


—  34  — 

très  nombreux  manuscrits  où  ces  documents  ne  se  trouvent 
pas;  quant  à  ceux  où  on  les  rencontre,  ils  ont  été  ajoutés  ad 
calcem  operis  par  les  copistes  qui  ont  vécu  immédiatement 
après  Yves  (1).  Ils  croyaient  très  bien  faire  en  ajoutant  au 
travail  primitif  des  documents  nouveaux  qui,  à  leur  sens, 
complétaient  et  confirmaient  ceux  apportés  par  le  savant 
évêque  de  Chartres. 

On  trouve  beaucoup  d'exemples  de  cette  façon  d'agir  sur- 
tout au  douzième  et  treizième  siècle.  Quand  les  copistes  pos- 
sédaient une  lettre,  un  sermon,  un  ouvrage  quelconque  qui 
traitait  du  même  sujet,  ils  l'inséraient  à  la  suite  du  travail  de 
leur  auteur  :  croyant  en  cela  rendi^e  service  à  l'Église  et  à  la 
Société.  Les  livres  ou  plutôt  les  copies  étaient  si  rares  qu'on 
était  heureux  de  pouvoir  transmettre  à  ses  contemporains  et 
aux  âges  futurs  les  œuvres  que  l'on  connaissait  et  qui  pou- 
vaient leur  être  utiles.  C'est  ce  qui  explique  les  nombreuses 
interpolations  qui  se  rencontrent  dans  les  monuments  de  ce 
temps  et  qui  ont  donné  lieu  souvent  à  de  graves  discus- 
sions (2).  Il  n'y  a  donc  pas  de  conclusion  à  tirer  de  ces  détails 
ajoutés  après  coup;  et  si  le  P.  Labbe  avait  confronté  un  plus 
grand  noml^re  de  manuscrits,  il  est  probable  qu'il  n'eût  pas 
été  aussi  affirmatif. 

D'ailleurs,  nous  avons,  sur  ce  point,  le  témoignage  d'un 
des  confrères  de  D.  Gellé,  auquel  il  avait  envoyé  des  manus- 
crits de  la  Paiiormie.  Voici  ce  qu'il  lui  répond  dans  une  lettre 
du  mois  de  septembre  1707  (3).  «  Je  n'ay  rien  trouvé  dans 


(1)  Mabillou  affirme  avoir  vu  deux  manuscrits  aux  abbayes  d'Au- 
chin  et  de  Blandeuberg,  qui  tous  deux  portaient  le  nom  d'Yves  et 
ne  contenaient  rien  des  additions  dont  parle  le  P.  Labbe.  V.  Doujat, 
ibid.  —  Baluze  parle  également  de  deux  manuscrits,  celui  do  saint 
Victor  et  celui  d'Antonius  Augustiuus,  qui  ne  renfermaient  rien 
de  ces  additions   Voir  Baluze,  De  Emendatione  Gratiani,  préf.  N»  23. 

(2)  Biblioth.  nation,  mss.  N"  12317  fol.  42  «  On  voit  dans  ces 
«  manuscrits,  dit  D.  Gellé,  qu'après  la  formule  ordinaire.  Explicit 
«  Panormiœ  liber  octaviis  j.uue  main  plus  récente  a  ajouté  ces  détails 
selon  sa  convenance. 

(3)  I/jid'.,  mss.  12317,  fol.  6. 


—  35  — 

M  VOS  manuscrits  de  la  Panormie  d'Yves  qui  pust  prouver  que 
«  cet  ouvrage  soit  postérieur  à  Yves.  11  est  en  tout  conforme 
((  à  ce  que  dit  M.  Baluze  de  celuy  de  saint  Victor.  Il  ne  parle 
'<  pas  d'Innocent  II.  Le  manuscrit  est  du  douzième  siècle,  d'où 
«  j'infère  que  l'ouvrage  a  été  fait  après  Nicolas  'i**  et  avant 
«  Nicolas  3''  ;  autrement,  il  n'aurait  pas  appelé  Nicolas  2'^  ju- 
«  nior.  » 

Ce  petit  détail  indique  parfaitement  l'époque  où  fut  com- 
posée la  Panormie,  c'est-à-dire  dans  la  seconde  moitié  du 
onzième  siècle  (1).  Y^ves  aura  publié  les  derniers  documents 
qui  étaient  parvenus  à  sa  connaissance,  et  comme  nous  pen- 
sons qu'il  a  composé  sa  Panormie  à  l'abbaye  de  Saint-Quen- 
tin, c'est-à-dire  de  1075  à  1090,  époque  de  son  élévation  à 
l'Épiscopat,  on  voit  que  la  date  du  règne  de  Nicolas  II  con- 
corde parfaitement  avec  celle  que  nous  assignons  à  la  compo- 
sition de  son  ouvrage. 

Les  Bollandistes  qui  n'ont  fait  que  copier  la  notice  d'Yves 
de  Souchet  arrangée  et  éditée  par  le  P.  Fronteau  en  I6/i7  (2) 
attribuent,  à  la  suite  de  cet  auteur  la  Panormie  d'Yves  à 
Hugues  de  Chàlons,  lequel,  d'après  ce  sentiment,  n'aurait 
fait  qu'abréger  le  Décret  d'Yves  (3). 

Les  auteurs  de  l Histoire  littéraire  de  la  France  répondent 
à  cette  assertion  que  cet  Hugues  de  Chàlons  n'a  pas  existé  (4). 
Mais  en  cela,  ils  se  trompent  aussi  bien  que  les  Bollandistes  et 
le  P.  Fronteau.  Hugues  de  Chàlons  a  existé,  et  il  n'est  pas 
l'auteur  de  la  Panormie  dont  nous  discutons  en  ce  moment 
la  paternité. 

En  effet,  Vincent  de  Beauvais  parle  d'un  Hugues  évêque  de 
Chàlons  qui  est  auteur  d'un  ouvrage  intitulé  :  Summa  Decre- 
toriim  Ivonis.  Et  il  nous  explique  même  pourquoi  et  comment 


(1)  En  efl'et,  Nicolas  II  fut  élu  papo  au  concile  de  Sieuu'  (1058), 
à  l'instigation  d'Hildebraud.  Il  mourut  en  1061. 

(•2)  Édit.  des  Œuvres  d'Yves  de  Chartres.  Paris,  1647,  in-fol.  Pré- 
face. 

(3)  Acta  sanctorum,  t.  XVIII,  p.  80. 

(4)  Histoire  littéraire,  t.  X,  p.  120-121. 

2 


—  36  — 

il  le  composa  :  «  Hic  liber  Decretonim  Ivonis  apud  nos  in 
«  phirimis  locis  repentiu\  qui  quoniam  ipse  quoque  non 
«  parvae  quantitatis  non  est  facile  portatilis  (1)  et  il  ajoute  : 
«  Eî(go  C atalaunensis  ex  eodem  volumine  ahbreviato  libcl- 
«  lion  portatilem  legitur  composuisse  qui  et  ipse  apud  nos 
«  est  et  summa  Decretorum  Ivonis  appellatur  (2).  » 

Voilà  un  témoignage  formel  d'un  homme  presque  contem- 
porain de  l'évêque  de  Chartres;  et  ce  témoignage  est  confirmé 
par  une  lettre  d'Yves  lui-même  qu'il  écrit  au  pape  Pascal  II 
au  sujet  de  son  ami  l'Évêque  de  Châlons  qui  avait  des  diffi- 
cultés avec  un  nommé  Drogon,  trésorier  de  son  chapitre  (3). 
Or  la  date  de  cette  lettre  est  entre  llO/i  et  1113  :  C'est  donc 
vers  cette  époque  que  Hugues  occupa  le  siège  épiscopal  de 
Châlons. 

D'ailleurs,  pourquoi  révoquer  en  doute,  comme  le  font  les 
auteurs  de  l'Histoire  littéraire^  le  témoignage  de  Vincent  de 
Beauvais  et  affirmer  qu'il  s'est  ti'ompé  de  nom  :  qu'il  a  mis 
Hugues  au  lieu  de  Haimon?  Nous  allons  précisément  montrer 
que  cet  Haimon  n'est  point  auteur  de  l'Abrégé  dont  parle 
Vincent  de  Beauvais,  mais  d'un  autre  ouvrage  composé  non 
d'après  la  Panormie  attribuée  à  Yves ,  mais  d'après  un 
abrégé  en  dix  livres  de  cette  même  Panormie.  Les  manus- 
crits découverts  par  le  savant  Theiner  vont  jeter  le  jour  le 
plus  complet  sur  cette  question  [h) . 

Il  existe  à  la  Bibliothèque  de  Berlin  (mss.  lat.,  in-/i°,n"106) 
un  manuscrit  qui  est  un  abrégé  très  exact  de  la  Panormie 
d'Yves,  et  qui  porte  le  nom  de  Summa  Decretorum  Ivonis  (5). 
Le  manuscrit  est  du  douzième  siècle  et  ne  contient  que  qua- 
torze feuillets  :  ce  qui  justifie  le  témoignage  de  Vincent 


.   (1)  Vincent.  Bcllovac.  Spéculum  historiale,  lib.  XXVI,  c.  lxxxiv. 

(2)  Ihid. 

(3)  Ivonis  Epist.  95.  Theiner  se  trompe  quand  il  dit  que  cette  lettre 
est  adressée  à  Urbain  II,  puisque  l'autour  y  parle  du  Concile  de 
Poitiers  qui  eut  lieu  en  1100  et  que  le  pape  Urbain  est  mort  en  1099. 

(4)  Theiner,  Ueber  Yvo's  Dekret,  p.  50-55. 

(5)  C'est  exactement  le  titre  indiqué  par  Vincent  de  Beauvais. 


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de  Beauvais  qui  parle    d'un  ouvrage  tout-k-hït  portatilis . 

Les  auteurs  de  VHistoire  littéraire  pourraient  répondre 
que  le  nom  de  l'auteur  n'étant  pas  indiqué  dans  le  manuscrit, 
ce  pourrait  être  Haimon.  Mais  nous  pouvons  leur  opposer 
un  témoignage  formel,  où  le  nom,  cette  fois,  apparaît  en 
toutes  lettres. 

Un  manuscrit  de  l'ancienne  Bibliothèque  royale  (n°  Zi,377) 
nous  donne  un  abrégé  d'une  Panormie  en  dix  livres.  En 
tête,  se  trouve  une  partie  du  prologue  d'Yves  de  Chartres, 
comme  dans  beaucoup  de  Recueils  de  cette  époque,  puis 
l'auteur  dit  que  «  si  cette  exposition  ne  suffit  pas  au  lecteur, 
«  \\MtYQ(iovi\"&k  l'opuscule  plus  détaillé  du  vénérable  Yves 
«  de  Chartres  que  lui  n'a  fait  qu'abréger  (1).  »  Ensuite  il 
ajoute  un  court  prologue  en  tête  duquel  il  met  son  nom  (2). 

Cette  fois,  il  n'y  a  plus  aucun  doute  sur  cet  Haimon  que 
réclament  les  auteurs  de  l'Histoire  littéraire.  C'est  bien  celui 
dont  parle  Albéric  des  Trois-Fontaines  auquel  il  donne  la 
qualité  d'archidiacre  et  qu'il  appelle  homme  noble  et  reli- 
gieux (3).  Haimon  lui-même  nous  apprend  dans  sa  préface 
qu'il  a  rédigé  cet  Enchiridion  non  par  un  sentiment  d'arro- 
gance et  pour  le  livrer  au  public,  mais  pour  son  usage 
personnel,  en  raison  de  la  charge  qu'il  occupe  {K). 

Nous  trouvons  dans  cette  même  préface  une  assertion  qui, 
au  premier  abord  nous  paraît  étrange,  mais  qui  vient  con- 
firmer pleinement  la  thèse  que  nous  soutenons  :  à  savoir  que 
Haimon,  évêque  de  Chàlons,  n'est  pas  l'auteur  de  la  Panor- 
mie attribuée  généralement  à  l'évêque  de  Chartres.  «  Le  véné- 
rable Yves,  dit-il,  a  réuni  les  divers  canons  et  règles  ecclé- 
siastiques et  les  a  réduits  à  dix  LivTCs  ad  minimum  decem 
librorum  laudabili  redegit  compendio.  » 


(1)  Mss.  4377.  Préface. 

(2)  Ibid.  «  Haimo,  Dei  gratia,  id  quod  est...  » 

(3)  «  Electus  in  episcopiim  Catalaimensem  Haimo  archidiaconus  vir 
(t  nohilis  et  religiosus  de  Bazocliiis  qui  fecit  Enchiridion  in  decretis, 
«  secundum  Panormiam  Ivonis.  »  Alberic  Tr.  Font,  ad  an.  1153. 

(4)  Mss.  4377.  Préface. 


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On  se  demande  comment  un  écrivain  qui  avait  le  manus- 
crit entre  les  mains  a  pu  se  laisser  ainsi  induire  en  erreur  et 
attribuer  ce  compendium  en  dix  Livres  à  Yves  de  Chaitres. 
Haimon ,  sans  doute ,  aura  été  trompé  comme  beaucoup 
d'autres  par  le  Prologue  d'Yves  qui  se  trouvait  en  tête  du 
manuscrit  (1);  s'il  l'eut  examiné  de  plus  près,  il  am"ait  vu 
que  cette  Panormie  en  dix  Livres  n'était  elle-même  qu'un 
abrégé  de  la  Panormie  en  huit  Livres.  Trouvant  en  tête  du 
manuscrit  le  prologue  bien  connu  d'Yves  de  Chartres,  il 
aura  pensé  que  le  sommaire  des  dix  parties  indiquées  par 
l'auteur  (2),  était  l'œuvre  de  notre  prélat  lui-même;  voilà 
pourquoi  il  lui  a  attribué  ce  compendium.  Haimon  croit  abré- 
ger le  recueil  d'Yves  :  il  n'en  est  donc  pas  l'auteur. 

Ainsi  se  trouve  expliquée  et  réfutée  la  double  attribution 
de  la  Panormie  d'Yves  de  Chartres  à  Hugues  de  Chàlons  et 
à  Haimon  de  Bazoches  :  le  premier  n'a  fait  qu'abréger  le 
recueil  d'Yves,  et  le  second  l'ouvrage  que  Theiner  attribue 
à  Hildebert  du  Mans.  Nous  arrivons  ainsi  à  cette  conclusion  : 
que  la  Panormie  telle  que  nous  la  possédons  dans  de  nom- 
])reux  manuscrits,  n'appartient  ni  à  un  auteur  postérieur  à 
Yves,  ni  à  Hugues  de  Chàlons  ni  à  Haimon,  l'un  de  ses  suc- 
cesseurs. 

Voilà  donc  le  terrain  déjà  quelque  peu  déblayé;  mais  ce 
ne  sont  là  pour  notre  thèse  que  des  preuves  négatives  :  il 
faut  aller  plus  loin  et  asseoir  maintenant  notre  opinion  sur 
des  documents  certains  et  positifs. 

Disons  d'abord  que  le  mot  de  Panormie  [Panormia  ou 
Pannormia)  ne  se  trouve  ni  dans  le  Prologue,  ni  dans  le 
corps  de  l'ouvrage,  ni  à  la  fin,  dans  aucun  manuscrit  :  on 
ne  le  voit  ligurer  que  dans  le  titre  rédigé  sans  doute  par  les 
copistes.  C'est  ainsi  que  dans  beaucoup  de  manuscrits  qui 
sont  certainement  du  douzième  siècle,  on  trouve  en  tête  : 
Panormia  ou  Pannormia;  dans   d'autres,  il  est  vrai,  on 


(1)  Codex  Vniduboiu'ii^.  Jus  cnnonic.  N"  01,  iii-i". 
r2)  IbifL,  préfaco  «  Vohmlati  veslro:.  » 


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rencontre  des  titres  comme  ceux-là  :  Decrrtum  loonis  ou 
Summa  Decretorum  Ivonis  ou  Exceptiones  canonmn,  ou 
comme  dans  celui  de  Berlin  (1)  Lihor  canomim  ïvoim  ou 
bien  encore  Liber  Decrotoritm  sive  Panorima  Ivonh  (2). 

Il  y  a  donc  lieu  de  supposer  que  l'auteur  n'a  point  mis 
de  titre  à  son  ouvrage  et  que  celui  de  Panormie  aura  été 
ajouté  par  quelque  contemporain,  puisqu'on  le  rencontre  dès 
le  douzième  siècle. 

Avant  d'aller  plus  loin,  établissons  un  point  incontestable 
et  qui  est  d'une  grande  portée,  quand  il  s'agit  d'un  manus- 
crit :  c'est  que  dans  tous  ceux  que  possèdent  la  France  et 
les  pays  étrangers,  qu'ils  soient  du  douzième  siècle  ou  pos- 
térieurs   à  cette   date,  on  trouve  et   le  Prologue   d'Yves, 

{Exceptiones   regularwn )  et    le    nom  de  l'évèque    de 

Chartres.  C'est  Theiner  qui  nous  l'affirme  de  la  façon  la  plus 
expresse  et  la  plus  positive  (3) . 

Il  y  a  dans  ce  fait  universel,  plus  qu'une  présomption  en 
faveur  de  notre  évêque  de  Chartres,  il  y  a  une  certitude 
qu'il  est  réellement  l'auteur  de  la  Panormie. 

Néanmoins,  qu'il  nous  soit  permis  de  rappeler  ici  deux 
ou  trois  témoignages  que  nous  avons  déjà  cités  un  peu  à 
la  hâte  au  chapitre  premier  et  d'en  apprécier  la  valeur. 

Nous  n'insistons  pas  sur  celui  de  Sigebert  qui  nous  dit 
simplement  qu'Yves  de  Chartres  ce  composa  un  remarquable 
recueil  de  canons,  insigne  volumen  canorum,  »  seulement 
nous  ferons  remarquer  que  le  moine  de  Gemblours  meurt 
quatre  ou  cinq  ans  avant  l'évèque  de  Chartres,  c'est-à-dire 
vers  1110,  et  qu'à  cette  époque  le  recueil  de  notre  Prélat 


(1)  Biblioth.  Berlin,  mss.  lat.  N°  197.  (Voir  Theiner,  ouvrage  cité 
p.  r.},  noie  25.) 

(2)  Voir  les  deux  éditions  de  la  Ponormie-.coWe  de  1449 (de  Brandt) 
et  celle  de  1557  (Vosmedianus). 

(3)  «  In  den  vcrscldedenen  Bihliotheken  namentlich  Frankreichs  habe 
«  ich  Gelegenheit  gehabt  eine  U rimasse  Handschriften  von  der  Panormie 
"  einzusehen,  und  dnbei  immer  gefunden,  dass  sie  sammtlich  altère  loie 
a  neuere,  solche  unter  Ivo's  namen  liefern,  und  zivar  mit  dem  bekannten 
«  Prolog,  n  Theiner,  op.  cit.,  p.  26-27. 


—  40  — 

était  déjà  bien  connu  puisque  Sigebert  l'appelle  «  insigne 
volumen.  » 

Le  témoignage  d'Albéric  des  Trois-Fontaines,  qui  vivait 
vers  le  milieu  du  douzième  siècle,  est  plus  foiinel  et  plus 
positif.  En  parlant  de  l'Enchiridion  d'Haimon  de  Bazoches, 
il  dit  ((  qu'il  l'a  composé  d'après  la  Panormie  d'Yves  (1) .  » 

Lorsque  Vincent  de  Béarnais,  dans  son  Speciihnn  histo- 
riale  cite  le  Liber  BecrpAormn  Ivonis,  il  entend  certainement 
parler  de  la  Panormie  et  non  du  Décret;  autrement,  il  ne 
dirait  pas  que  «  les  manuscrits  de  cet  ouvrage  se  trouvent 
«  vulgairement,  qiiod  apud  nos  in  plurimis  lacis  reperitur  » 
puisqu'on  sait  qu'il  n'existe  que  quelques  rares  manuscrits 
du  Béer  et,  tandis  qu'il  y  en  a  un  très  grand  nombre  de  la 
Panormie  (2). 

L'erreur  même  d'Haimon  de  Bazoches  qui  attribue  à  Yves 
la  Panormie  en  dix  Livres  prouve  que  la  Panormie  était 
si  bien  connue  comme  étant  l'œuvre  de  l'évêque  de  Chartres, 
qu'il  n'a  même  pas  pris  la  peine  d'examiner  la  deuxième 
préface  de  l'auteur.  C'était  donc  un  fait  acquis  et  connu  de 
tous  en  ce  temps-là  (1153),  c'est-à-dire  moins  de  cpiarante 
ans  après  la  mort  d'Yves,  qu'il  était  l'auteur  de  la  Panormie. 

Mais  paimi  tous  ces  témoignages,  celui  qui  nous  frappe 
davantage  est  celui  de  l'auteur  même  de  la  Panormie  en  dix 
Livres  dont  le  manuscrit  se  trouve  à  la  Bibliothèque  de 
Vienne.  L'auteur  dit  formellement  dans  sa  Préface  «  qu'il 
«.  va  abréger  l'œuvre  d'Yves  de  Chartres,  qu'il  va  apporter 
«  cependant  quelques  changements  dans  la  division  des 
«  Livres  et  des  chapitres,  qu'il  va  diviser   son  ouvrage  en 


(1)  «  Composuùse  leçjitur  secundmn  Panormiam  Ivonis.  »  Alberic 
3  Font.  an.  1153. 

(î>  Theincr  qui  a  parcouru  un  grand  nombre  de  bibliothèques, 
nous  affirme  que  presque  toutes  possèdent  un  ou  deux  exemplaires 
de  la  Panormie,  tandis  qu'il  n'y  a  que  quatre  mss.  du  Décret.  Voir 
Ueber  Yvo\s,  p.  50,  note  25.  —  A  la  seule  Biblioth.  nationale,  il  y  a 
plus  de  douze  mss.  de  la  Panormie  qui  datent  presque  tous  du 
xu"  siècle. 


—  41  — 

«  dix  Livres  au  lieu  de  huit,  afin  qu'il  ait  plus  d'analogie 
«  avec  les  dix  commandements  de  Dieu  (1).  » 

En  effet,  pour  arriver  à  ses  dix  parties,  il  a  scindé  la  troi- 
sième partie  de  la  Panormic^  puis  il  a  ajouté  une  dixième 
partie  {de  Pœnitentiâ)  qui  ne  se  trouve  pas  dans  la  Panormie 
d'Yves.  Sauf  ces  changements,  il  a  exactement  suivi  l'auteur 
qu'il  abrégeait,  comme  il  est  facile  de  le  voir  dans  le  manus- 
crit. D'ailleurs,  il  nous  dit  lui-même  dans  sa  Préface  :  «  Eu  jus 
opuscidi  contextionem  ità  studiii  disponere  ut  et  (Ivoni) 
pe)-  o?miia  videatur  congénère  (2).  » 

Ainsi,  voilà  un  auteur  qui  n'a  point  écrit  au-delà  de  1130, 
c'est-à-dire  moins  de  quinze  ans  après  la  mort  d'Yves  et  qui 
non  seulement  nous  parle  de  la  Panormie  comme  apparte- 
nant à  notre  prélat,  mais  a  le  recueil  entre  les  mains,  en  fait 
l'analyse  qui  se  trouve  être  parfaitement  conforme  à  tous  les 
manuscrits  que  nous  possédons.  Devant  une  pareille  preuve 
il  n'y  a  pas  à  hésiter  :  Yves  de  Chartres  est  certainement 
l'auteur  de  la  Panormie. 

Citons  néanmoins  encore  un  dernier  témoignage  qui  ne 
fera  que  confirmer  et  corroborer  notre  sentiment  sur  l'auteur 
de  la  Panormie.  C'est  un  manuscrit  dont  parlent  les  frères 
Ballerini  et  qu'ils  appellent  Codex  Patavinus  (3).  Ce  manus- 
crit qui  a  appartenu  aux  moines  de  Sainte-Justine  et  qui 
est  signé  yy  porte  en  titre  :  Ivoîiis  Episc.  Carnot.  excep- 
tiones  ecclesiaslicorum  canonum.  Il  contient  le  Prologue, 
plus  la  division  en  huit  parties  comme  dans  les  autres  manus- 
crits. Il  paraît  remonter  au  quatorzième  siècle,  mais  il  a 
été  copié  sur  un  vieux  manuscrit  qui  a  été  composé  aus- 
sitôt la  mort  d'Yves  de  Chartres.  En  effet,  le  catalogue  des 
papes  qui  s'y  trouve  s'arrête  à  Gélase  il  qui  mourut  en  1119 
et  qui  n'était  monté  sur  le  trône  pontifical  qu'en  1118.  Tandis 
que  jusques  là,  l'auteur  rapporte  les  actes  des  autres  Pontifes 


(1)  Codex  Vindobonens.  {Jus  canonic.  No91). 

(2)  Theiner,  op.  cit.,  p.  32,  note  8. 

(3)  Ballerini,  op.  cit.,  pars  IV,  c.  xvi. 


—  42  — 

romains,  il  ne  dit  absolument  rien  du  pape  Gelase.  Or,  Yves 
venait  de  mourir  en  1115,  le  témoignage  rendu  par  l'auteur 
de  ce  manuscrit  prouve  donc  que  deux  ou  trois  ans  tout  au 
plus,  après  la  mort  de  notre  prélat,  ses  contemporains  le 
regardaient  comme  l'auteur  du  Recueil  intitulé  plus  tard 
Panonnie.  Aussi  les  frères  Ballerini  ajoutent-ils  :  «  Ce  témoi- 
«  gnage  a  pour  nous  tant  de  valeur  que  si  nous  avions  à 
«  douter  de  l'authenticité  du  Décret  ou  de  la  Panormie,  ce 
((  serait  plutôt  le  premier  que  le  deuxième  que  nous  enlève- 
«  rions  à  Yves  de  Chartres  (1).  » 

Maintenant  que  nous  croyons  avoir  établi  solidement  la 
paternité  d'Yves,  à  l'endroit  de  la  Panormie^  il  ne  nous  reste 
plus  que  deux  questions  à  examiner  et  à  résoudre  : 

La  première  :  La  Panormie  est-elle  antérieure  ou  posté- 
rieure au  Décret^  c'est-à-dire  n'est-elle  qu'un  abrégé  du 
Décret^  ou  le  Décret  lui-même  n'est-il  qu'une  amplification 
de  la  Panormie  ?  Les  deux  hypothèses  ont  eu  leurs  partisans. 

La  deuxième  :  Quel  rapport  existe- t-il  entre  la  Panormie 
et  la  collection  Tripartita,  en  d'autres  termes,  la  Panormie 
a-t-elle  été  faite,  copiée  sur  la  Trijmrtital  (2) 

Et  d'abord,  la  Panormie  d'Yves  de  Chartres  est-elle  anté- 
rieure au  Décret  qui  porte  son  nom? 

Avant  d'aller  plus  loin,  il  nous  paraît  utile  de  faire  remar- 
quer qu'il  ne  s'agit,  dans  cette  discussion,  que  d'ouvrages  de 
compilation,  c'est-à-dire  de  recueils  où  les  textes  distribués 
et  réunis  sous  certaines  rul^riques,  ne  subissent  que  peu  ou 
point  de  changements  et  peuvent,  par  conséquent,  se  trouver 
à  peu  près  les  mômes,  dans  l'un  comme  dans  l'autre  traité.  Si 
l'on  avait  à  juger  une  œuvre  philosophique  ou  littéraire,  on 
pourrait  examiner  si  telle  idée,  qui  n'est  qu'un  geime  dans 
l'un  des  deux  ouvrages,  est  développée  dans  l'autre  ;  si  l'auteur 


(1)  Ballerini,  op.  cit.;  pars  IV,  chap.  xvi. 

(2)  La  réponse  à  cette  deuxième  question  nous  paraissant  compor- 
ter d'assez  longs  développements,  nous  avons  cru  devoir  en  faire 
l'objet  d'un  chapitre  spécial.  (V.  chap.  iii). 


—  A3  — 

a  complété  ses  premières  recherches  ;  mais  ce  travail  ici  n'est 
guère  possible.  Les  titres  ou  rubriques  des  parties,  et  même 
des  chapitres  sont  presque  les  mêmes  dans  les  deux  recueils  ; 
nous  ne  pouvons,  à  première  vue,  constater  qu'une  chose  : 
c'est  qu'il  y  a  moins  de  textes  cités  dans  la  Panonnie  que 
dans  le  Décret;  c'est  que  les  livres  sont  deux  fois  plus  nom- 
breux et  les  chapitres  aussi  par  là  même,  dans  le  Décret  que 
dans  la  Panormie. 

Rien  que  d'après  ce  simple  énoncé,  on  est  porté,  a  priori^ 
à  conclure  que  le  volume  où  les  matières  sont  plus  dévelop- 
pées, que  l'ouvrage,  en  un  mot,  qui  est  le  plus  complet,  est 
postérieur  à  l'autre.  En  général,  c'est  ainsi*  que  procède 
l'auteur  des  deux  ouvrages  qui  traitent  du  même  sujet,  à 
moins  qu'il  ne  dise  formellement  qu'il  a  voulu  faire  un 
abrégé,  un  Enchiridion  de  son  premier  ouwage. 

Or,  nous  ne  trouvons  aucune  ti*ace  d'un  pareil  dessein  dans 
le  long  prologue  d'Yves  qui  se  trouve  en  tête  de  tous  les 
manuscrits  de  la  Panormie.  Dans  les  sept  ou  huit  folios 
(12  colonnes  in-4°.  Edition  Migne),  notre  auteur  ne  dit  pas 
un  mot  de  ce  projet  :  il  n'y  est  nullement  question  d' enchiri- 
dion, ni  d'abrégé  d'un  grand  ouvrage;  encore  une  fois,  si  cela 
eût  été,  Yves,  l'homme  pratique  par  excellence,  n'eût  pas 
manqué  de  nous  dire  qu'il  abrégeait  son  grand  ouvrage  pour 
en  faire  un  manuel,  pour  être  plus  commode  à  ses  lecteurs,  etc. 

Mais,  dira-t-on,  est-il  bien  sûr  que  le  prologue  appartienne 
réellement  à  la  Panormie  et  non  au  Décret?  —  Oui,  par 
une  raison  bien  simple  :  c'est  que  la  division  en  huit  parties, 
faite  par  l'auteur  lui-même,  se  trouve  dans  tous  les  manus- 
crits de  la  Panormie  qui,  nous  le  répétons,  sont  très  nom- 
breux, tandis  que  sur  les  cinq  ou  six  manuscrits  qui  existent 
ou  plutôt  qui  existaient  du  Décret,  c'est  à  peine  s'il  en  est  deux 
ou  trois  qui  portent  en  tête  le  Prologue.  Si  le  Prologue  appar- 
tenait au  Décret,  il  faudrait  supposer  que  cette  division  de  la 
Panormie  en  huit  parties  a  été  faite  après  coup  par  une  autre 
main,  et  accoUée  au  Prologue.  Comment  se  fait-il  alors  qu'il 
n'y  ait  pas  un  seul  manuscrit  de  la  Panormie  où  manque  le 


—  u  — 

Prologue,  et  qu'il  manque  dans  presque  tous  les  manuscrits 
du  Décret^  C'est  que  tout  simplement  on  a  mis  le  Prologue  de 
la  Panormie  en  tête  du  Décret  ;  cqhî  que,  comme  nous  le 
dirons  plus  bas,  on  voulait  attribuer  la  paternité  de  ce  dernier 
ouvrage  à  l'Évêque  de  Chartres,  et  l'abriter  sous  son  puissant 
patronage. 

Si  le  Prologue  eût  été  composé  d'abord  pour  le  Décret  et 
que  plus  tard  Yves  ait  publié  sa  Pawwmie,  arrivé  à  la  fin  de 
sa  préface  où  il  indique  les  divisions  du  Décret,  qui  sont  au 
nombre  de  dix-sept,  il  se-  serait  empressé  de  dire  que  son 
nouvel  ouvrage  ne  contiendrait  que  huit  parties  au  lieu  de 
dix-sept,  cela  est  évident.  Et  puis,  est-il  naturel  qu'un  auteur 
composant  un  nouveau  volume,  sur  un  même  sujet,  y  insère 
la  préface  de  son  premier  ouvrage,  sans  y  rien  changer,  sans 
dire  un  seul  mot  du  nouveau,  surtout  quand  le  plan  et  les 
divisions  ne  sont  plus  les  mêmes?  Non,  évidemment  non. 

D.  Gellé,  dans  la  préface  de  son  manuscrit  (1)  affirme  que 
la  Panormie  a  été  extraite  du  Décret,  mais  il  n'apporte 
aucune  espèce  de  preuves  :  il  annonce  simplement  qu'il  a 
comparé  attentivement  les  deux  ouvrages,  et  qu'il  a  marqué 
livre  par  livre,  chapitres  par  chapitres,  les  citations  et  textes 
qui  correspondent  dans  le  Décret  et  la  Panormie  (2). 

Ce  travail  du  bénédictin  a  certainement  un  grand  mérite, 
et  est  d'une  réelle  importance  pour  l'étude  des  deux  ouvrages 
qui  font  l'objet  de  notre  thèse;  mais  que  prouve  cette  compa- 
raison? Elle  est,  il  nous  semble,  aussi  bien  en  faveur  de  notre 
sentiment  qu'en  faveur  de  l'opinion  de  D.  Gellé.  Cette  com- 
paraison et  ce  tableau,  œuvres  de  patience,  ne  prouvent  qu'une 
chose  :  c'est  que  l'auteur  du  Décret,  quel  qu'il  soit,  Yves  ou 
un  autre  a  pu  emprunter  à  la  Panormie  les  textes  et  les  cita- 
tions qu'il  a  insérés  dans  son  Décret.  Cette  explication  nous 
semble  tout  aussi  plausible  que  celle  du  savant  bénédictin.  Et 
d'ailleurs,  le  même  D.  Gellé  nous  fournit  contre  sa  thèse  et  en 


(1)  Biblioth.  nat.,  nouv.  fonds  lat.  N°  12317,  fol.  42. 

(2)  Ihià.,  fol.  182  à  187. 


faveur  de  la  nôtre,  un  argument  ries  plus  sérieux.  «  J'indi- 
«  querai,  dit-il  dans  sa  préface  (1),  les  canons  qui  se  trouvent 
«  à  la  fois  dans  le  Décret  et  dans  la  Panorraie;  et,  dans  un 
«  appendice,  je  placerai  les  autres  canons  qui  ne  sont  pas 
«  dans  le  Décret  (2) .  » 

Ainsi,  il  y  a  donc  dans  la  Panormie  des  textes  des  canons 
qu'on  ne  trouve  pas  dans  le  Décret,  c'est  l'adversaire  de  notre 
thèse  qui  l'affirme  lui-même  ;  nous  retournons  l'arme  contre 
lui  :  Si  la  Panormie  n'était  qu'un  extrait  du  Décret,  elle  ne 
contiendrait  point  ces  canons  qui  ne  figurent  pas  dans  le 
Décret;  quand  un  auteur  fait  l'abrégé  d'un  livre,  ordinaire- 
ment il  n'y  insère  pas  des  documeuts  nouveaux,  ou,  s'il  le  fait, 
il  les  met  à  la  fin  de  l'ouvrage,  ou  bien  il  explique  pourquoi 
il  les  insère.  Il  est  plus  probable  qu'Yves,  ou  l'auteur  du 
Décret,  aurait  supprimé,  éliminé  de  son  nouvel  ouvrage,  cer- 
tains canons  qui  lui  auraient  paru  ou  inutiles  ou  d'une  authen- 
ticité douteuse  plutôt  qu'il  n'y  en  aurait  introduit  de  nouveaux. 
L'argument  de  D.  Gellé  tourne  donc  évidemment  contre  lui. 

Si  maintenant  nous  pénétrons  dans  le  détail  de  deux  ou- 
vrages et  si  nous  examinons  l'ordre  et  la  disposition  qui  ont 
présidé  à  leur  composition,  nous  constatons  que  les  huit  par- 
ties de  la  Panormie  ont  été  dédoublées  dans  le  Décret.  Cela 
saute  aux  yeux  dans  le  tableau  dressé  par  D.  Gellé  (3). 

Ainsi,  le  premier  livre  de  la  Panormie  traite  de  fide,  de 
divei'sis  hseresibus,  de  baptismate,  de  confirmatione ,  de 
Sacramento  corporis  et  sanguinis  Christi,  de  missâ,  etc. 

La  première  partie  ou  le  premier  livre  du  Décret  traite  de 
la  foi  et  du  baptême  ;  la  deuxième  partie  ou  deuxième  livre 
de  sacramento  corporis  et  sanguinis  Christi  et  de  Missâ. 

Le  deuxième  livre  de  la  Panormie  a  pour  titre  :  De  consti- 
tutione  ecclesiarum  et  oblatione  fîdelium.  L'auteur  du  Décret 
va  le  dédoubler  comme  il  a  fait  pour  le  premier  livre,  et  il 


(1)  Voir  mss.  12317,  fol.  42.  V". 

(2)  Ibid.  «  Alios  Panormiœ  canones  qui  in  Decreto  non  sunt.  » 
{Z)lbid.,îo\.  182  à  187. 


—  46  — 

aura  deux  parties  sur  ce  sujet,  c'est-à-dire  troisième  et  qua- 
trième partie  du  Décret. 

Le  troisième  livre  de  la  Panormie  traite  de  Summi  Ponti- 
ficis  electione  et  de  Episcopis.,  monachu  et  clericis;  l'au- 
teur du  Décret  en  fait  deux  nouvelles  parties,  c'est-à-dire  la 
cinquième  de  primatu  Romanse  ecclesiœ.,  et  la  sixième  de 
Clericis.  Et  il  continue  ainsi  jusqu'à  la  fin  le  dédoublement 
des  livres  de  la  Panormie. 

Cependant,  quoique  les  titres  des  livres  ou  des  parties 
soient  à  peu  près  les  mêmes,  l'ordre  et  la  disposition  diffèrent  : 
les  canons  ne  sont  pas  rangés  de  la  même  façon.  Or,  si  la 
Panormie  n'était  qu'un  abrégé  du  Décret.,  l'auteur,  il  nous 
semble,  aurait  suivi  l'ordre  et  la  disposition  de  l'ouvrage  qu'il 
abrégeait.  Nous  inclinons  plutôt  à  croire  que  l'auteur  du  Décret 
a  conservé  les  grands  linéaments  de  la  Panormie.,  l'ordre  gé- 
néral de  l'ouvrage;  mais  comme  il  avait  sous  la  main  des 
matériaux  plus  nombreux  :  décrets  de  conciles  récents,  lettres 
de  papes,  etc.,  tout  en  conservant  les  titres  de  la  Panormie^ 
il  a  rangé  les  Canons  et  Décrets  dans  un  ordre  nouveau  et 
meilleur,  comme  fait  l'auteur  qui  révise  un  ouvrage  et  lui 
donne  des  proportions  plus  considérables  (1). 

Il  arrive  souvent  à  l'auteur  du  Décret,  de  reproduire  d'abord 
et  selon  leur  ordre,  les  quatre  ou  cinq  documents  que  cite  la 
Panormie  sur  un  sujet,  puis  d'y  ajouter  trois  ou  quatre  autres 
canons  ou  lettres  de  papes  sur  le  même  sujet  :  c'est  ce  qu'il 
fait  en  particulier  pour  la  confession  et  la  rétractation  de 
Bérenger  :  il  cite  d'abord  le  texte  de  la  Panormie  tout  entier, 
mais  il  y  ajoute  ensuite  d'autres  développements  tirés  de 
saint  Augustin  (2). 

Encore  une  fois,  si  l'auteur  de  la  Panormie  faisait  un 
abrégé,  un  extrait,  il  ne  s'y  prendrait  pas  de  cette  façon,  on  y 
reconnaîtrait  une  main  plus  habile  et  plus  heureuse  dans  le 
choix  des  citations  :  il  ne  se  contenterait  pas  de  reproduire  les 


(1)  V.  Panormie,  lib.  I,  c.  cliv  et  clv,  etDécret,  p.  lia  c.  lvu  et  lviii. 

(2)  Ibid.,  c.  cxxvi  et  Décret,  pars  II  a,  c.  x. 


—  n  — 

premiers  documents  qu'il  rencontrerait  dans  le  Décret  sur  le 
sujet  à  traiter,  il  n'écourterait  pas,  il  choisirait. 

Enfin,  si  la  Panonnic  était  ra])régé  du  Décrpt  comment 
se  fait-il  que  dans  aucun  manuscrit  on  ne  tiouve  nulle  trace 
de  la  dix-septième  partie?  Il  est  vrai  que  cette  partie  manque 
dans  plusieurs  manuscrits,  néanmoins  elle  existe;  et  si  l'au- 
teur ne  reproduit  aucun  texte  de  cette  dix-septième  partie, 
c'est  qu'elle  n'existait  pas  encore  au  moment  de  la  rédaction 
de  la  Pa?wrmie,  c'est  que  ce  dernier  recueil  est  antérieur  au 
Décret. 

Une  dernière  considération  tirée  de  la  vie  même  d'\  ves  de 
Chartres.  Nous  avons  surabondamment  prouvé  que  notre 
prélat  est  auteur  d'un  ouvrage  sur  le  droit  canon,  et  nous 
avons  déjà  fait  pressentir  qu'il  avait  dû  composer  cet  ouvrage 
pendant  qu'il  était  abbé  de  Saint-Quentin.  En  effet,  comme 
nous  le  dirons  dans  un  des  chapitres  suivants,  pour  nous 
qui  avons  étudié,  année  par  année,  la  vie  de  l'Evêque  de 
Chartres,  il  ressort  clairement  que  notre  saint  prélat  n'a 
pas  eu,  pendant  sa  carrière  épiscopale,  le  temps  ni  les  loisirs 
de  composer  un  Livre  qui,  selon  l'expression  de  son  ami 
Hildebert,  exige  <i  pectus  liberum  curis  (1).  »  En  lutte 
avec  le  roi  Philippe  pendant  plus  de  dix  ans,  ou  en  négo- 
ciations plus  ou  moins  difficiles  avec  les  légats  du  Saint- 
Siège,  écrasé  qu'il  était  par  sa  nombreuse  correspondance,  il 
nous  paraît  sinon  impossible,  du  moins  très  difficile  qu'il  ait 
pu  composer  un  ouvrage  aussi  considérable  que  la  Panormie 
ou  le  Décret,  et  surtout  tous  les  deux.  D'ailleurs,  s'il  eût  été 
absorbé  par  la  composition  d'un  travail  aussi  important,  il 
nous  l'aurait  dit  assurément  dans  quelqu'une  de  ses  nom- 
breuses Lettres  :  Il  entre  dans  bien  d'autres  détails  sur  ses 
occupations,  sur  sa  santé,  sur  ses  infirmités  et  ses  mala- 
dies, etc.  Or,  dans  ses  trois  cent  quarante  Lettres  que  nous 
avons  étudiées  jusques  dans  les  moindres  détails,  il  n'est 
question  qu'une  seule  fois  d'une  collection  de  canons  dont  il 

(1)  Epist.,  Hildebert,  lib.  II,  Épist.  27. 


est  l'auteur,  c'est  dans  la  lettre  deux  cent  soixante-quinzième 
adi'essée  à  Ponce,  abbé  de  Cluny,  où  il  lui  dit  «  qu'il  lui  envoie 
«  sa  collection  de  canons  et  ses  opuscules  (1)  » .  Mais  Yves  ne 
parle  pas  de  ce  recueil  comme  d'un  ouvrage  qu'il  vient  de  ter- 
miner (et  dans  cette  hypothèse  il  l'eût  dit  certainement)  mais 
comme  d'un  livre  que  l'Abbé  de  Cluny  lui  a  demandé  depuis 
longtemps. 

L'auteur  de  la  Panormie  en  dix  livres,  dont  nous  avons 
parlé  au  commencement  de  ce  chapitre,  semble  confinner 
notre  manière  de  voir,  lorsqu'il  parle  du  traité  de  l'Evêque  de 
Chartres  «  cpi'il  a  dicté,  dit-il,  dans  un  langage  choisi,  trac- 
«  tatum  qiiem  de  consonantia  canonum  luculento  admodùm 
«  sermons  dictavit.  »  Pourquoi  cette  expression  dictavit^  si 
l'auteur  ne  fait  pas  allusion  à  l'enseignement  qu'Yves  don- 
nait à  ses  élèves,  à  l'abbaye  de  Saint-Quentin? 

Enlin,  lorsque  Sigebert  parle  de  Y  insigne  volumcn  canonum 
de  l'Evêque  de  Chartres,  il  ne  peut  être  question  que  de  la 
Panormie  ou  du  Décret.  Il  est  impossible  que  le  moine 
de  Gemblours  fasse  allusion  à  ce  dernier  ouvrage  puisqu'on 
y  trouve  des  canons  d' un  Concile  qui  s'est  tenu  plus  de  quatre 
ans  après  la  mort  du  chroniquem-  2).  Donc,  Sigebert  ne  veut 
et  ne  peut  parler  que  de  la  Panormie;  donc,  dès  1110  ce 
recueil  était  déjà  célèbre  ;  donc,  il  est  antérieur  à  la  rédaction 
du  Décret  qui,  on  le  voit,  n'a  pu  paraître  que  plus  tard.  (3). 

W)  Yvonis,  Eput.  275,  édit.  1647,  fol.  Paris. 

(2)  Il  est  eu  effet  question  dans  le  Décret,  pars  III  a  c.  ccxxvii  et 
suiv.,  de  plusieurs  canons  d'un  concile  de  Beauvais,  qui  se  tint  à  la 
fin  de  l'an  1  ll'i.  Voir  P.  Labbe,  Recueil  des  conciles,  t.  X,  p.  797. 

(3)  Voir  chap.  iv  [ad  fin). 


CHAPITRE  III 


LA    COLLECTION    TRIPARTITA 


Avant  de  déterminer  les  rapports  qui  existent  entre  la 
collection  Tripartita  et  les  deux  ouvrages  attribués  à  l'Evèque 
de  Chartres,  il  est  nécessaire  d'entrer  dans  quelques  détails 
sur  ce  recueil  qui  est  aujourd'hui  encore  l'objet  de  discussions 
parmi  les  savants. 

Disons  d'abord  que  ce  titre  de  Tripartita  est  tout-à-fait 
récent  :  Ce  nom  ne  se  trouve  dans  aucun  manuscrit,  il  lui  a 
été  attribué  par  Theiner,  afin  de  la  distinguer  de  certaines 
autres  collections  du  même  temps  et  de  faciliter  la  discus- 
sion. 

Quant  à  la  division  en  trois  parties,  elle  existe  réellement 
dans  l'ouvrage,  mais  l'auteur  n'en  dit  rien  nulle  part  et  l'on 
ne  rencontre  dans  les  manuscrits  aucun  indice  de  cette  divi- 
sion :  on  constate  tout  simplement  par  la  lecture  que  l'auteur 
a  puisé  ses  documents  à  trois  sources  différentes  :  Les  Lettres 
ou  Décrétales  des  Papes,  les  décisions  ou  canons  des  Conciles, 
enfin  les  extraits  des  Saints  Pères. 

Nous  possédons  plusieurs  manuscrits  de  cette  collection  qui 
n'a  jamais  été  imprimée.  La  Bibliothèque  nationale  en  compte 
quatre,  que  nous  avons  parcourus  (1).  Mais  nous  avons  étudié 

(1)  Biblioth  nat.,  anc.  fonds  lat.  N»  3858,  3858  a,  3858  6,  4282. 


—  50  — 

plus  spécialement  celai  qui  porte  le  n°  3,858,  comme  étant  le 
plus  complet  et  le  mieux  conservé.  Qu'on  nous  permette  d'en 
donner  ici  une  courte  notice. 

C'est  un  très  bel  in  folio  du  douzième  siècle  ;  il  a  appartenu 
aux  Oratoriens  du  collège  de  Troyes  (1).  Il  ne  porte  d'autre 
titre  que  ces  mots  :  Corpus  canonum  velus  et  Exccrpta  ex 
Decretis  Roman.  Pontifie;  et  encore  ces  deux  indications  ne 
se  trouvent-elles  qu'en  marge  du  premier  feuillet.  Le  manus- 
crit commence  par  une  courte  préface  :  Quoniam  quorumdam 
romanorum,- Décréta  Pontificiim.,  etc.  (2).  Puis,  dès  le  milieu 
du  premier  feuillet  :  Incipit  epistola  prima  démentis  papas., 
et  l'auteur  se  met  à  citer,  les  lettres  ou  décré taies  des  Papes 
selon  l'ordre  chronologique  :  c'est  ce  que  ïlieiner  appelle  la 
première  partie.  Viennent  ensuite  les  canons  des  différents 
Conciles  «  qu'il  emprunte,  dit-il  lui-même,  à  la  collection 
«  d'Isidore  (3).  »  Mais  il  ajoute  certains  conciles  grecs  tels 
que  ceux  d'Antioche,  de  Laodicée,  de  Chalcédoine  qui  ne  se 
trouvent  pas  dans  la  collection  Isidorienne  :  c'est  ce  qui 
forme  la  deuxième  partie.  Enfin,  dans  le  reste  du  manuscrit, 
l'auteur  cite  de  nombreux  extraits  des  Pères  de  l'Église,  des 
autres  écrivains  ecclésiastiques  et  des  collections  des  lois 
romaines  et  frankes. 

Cette  dernière  et  troisième  partie  ne  suit  plus  l'ordre  chro- 
nologique mais  bien  celui  des  matières.  On  y  retrouve  presque 
tous  les  titres  que  nous  voyons  figurer  en  tête  des  diverses 
parties  du  Décret  et  de  la  Panormie  [h).  Pour  quiconque  a 


(1)  Mss.,  38.58,  fol.  1.  R». 

(2)  Ihid.,{Q\.  1. 

(3)  Ihià..  fol.  117. 

(4)  Nous  tenons  ù.  citer  plusieurs  de  ces  titres  :  ils  jetteront  une 
vive  lumière  sur  la  discussion  qui  va  suivre. 

Ainsi  au  fol.  201,  nous  trouvons  :  Incipit  de  fide  et  de  sacramento 
fidci,  au  fol.  204.  De  baptismo.  —  207.  De  sacramentis  ecclesiasticis.  — 
21.5.  De  rébus  ecclesiasticis.  —  227.  De  primatu  Romanse  ecclesia.  — 
229.  De  episcopo  —  de  clericis.  —  244.  De  monacliis  —  de  Virginibus. 
—  252.  De  conjugiis  —  de  conjugatis.  —  271.  De  homecidiis.  —  281.  De 
jucanUitionibus.  —  28G.  De  janementer.  —  294.  De  excommanicatione. 


—  51   — 

étudié  ces  deux  ouvrages,  le  simple  énoncé  de  ces  titres  indi- 
que que  leur  auteur  ou  leurs  auteurs  ont  fait  à  la  collection 
Tripartita  de  nombreux  emprunts  ;  mais  n'anticipons  pas. 

Le  manuscrit  du  Vatican  examiné  par  les  Frères  Ballerini 
ressemble,  d'après  les  indications  données  par  eux,  à  celui 
que  nous  avons  étudié  à  la  Bibliothèque  nationale  (1). 

Mais  le  manuscrit  de  Berlin  dont  Theiner  nous  donne  la 
description  et  l'analyse,  diffère  de  ceux  que  nous  venons  de 
citer  (2).  Sur  la  première  page  on  trouve  le  titre  suivant,  d'une 
écriture  relativement  moderne  :  Libe?-  Monast.  B.  M.  V.  i?i 
qiio  continentur  modus  de  observatione  smodi,  item  liber 
canoniim  Ivonis  carnot,  episc.  ex  sentetitiis  patrum  et  sum- 
morum  pontificum  in  unum  coUectus  distinctiis  in  decem 
libris.  Ce  titre  évidemment  est  faux  puisqu'il  se  rapporte  à 
la  Panormie  en  dix  livres,  dont  nous  avons  parlé  dans  le 
chapitre  précédent.  Au  fol.  23  et  2/i  on  trouve  une  liste  des 
Papes  jusqu'à  Urbain  II  et  continuée  par  une  autre  main  jus- 
qu'à Adrien  IV,  mort  en  115/i,  Au  folio  24,  le  copiste  a  placé 
le  prologue  d'Yves  que  nous  connaissons  :  Excerptiones  regu- 
larum^  etc.  Il  y  est  tout  entier  et  à  la  fm  il  a  ajouté  :  Explicit 
prologus  primus.  Item  prologus  sequentis  operis;  et  ce 
second  prologue  n'est  autre  que  la  préface  de  la  Tripartita 
que  nous  avons  signalée  dans  le  manuscrit  de  la  Bibliothèque 
nationale  Quoniam  quorumdam  Romanornm,  etc.  Enfin, 
suit  l'ouvrage  tout  entier  auquel  Theiner  a  donné  le  nom  de 
Tripartita. 

Maintenant,  dans  quels  rapports  se  trouve  être  cette  collec- 
tion avec  les  deux  recueils  attribués  à  Yves  de  Chartres, 
c'est-à-dire,  leur  a-t-elle  servi  de  base  et  même  de  modèle  ? 

Ici  encore,  nous  nous  trouvons  en  face  des  mêmes  difficultés 
que  dans  la  question  précédente.   S'il  s'agissait  d'œuvres 


—  298.  De pœnitentia.  —  298  à  331.  De  officiis  laïcorum  et  camis  (c'est 
sous  ce  dernier  titre  que  sont  rangés  les  textes  des  lois  romaines.) 

(1)  Ballerini.  —  De  antiquis  collectionibus  et  collectoribus  canonum 
ad  Gratianum  usque  tractatar^  pars  IV  a,  c.  xviii. 

(2)  Biblioth.  Berlin,  mss.  lat.  N"  197.  Theiner,  ouvrage  cité,  p.  17, 


—  52  — 

originales  où  l'esprit,  le  style  et  la  méthode  de  l'auteur  appa- 
raissent, on  pourrait  découvrir  ce  que  cet  auteur  a  emprunté 
à  ses  prédécesseurs,  ce  qu'il  a  produit  de  son  crû,  en  un  mot 
quelle  est  son  œuvre  personnelle.  Mais  ici  rien  de  semblable  : 
non  seulement,  le  fonds  n'appartient  pas  à  l'auteur,  mais 
l'idée  même  de  l'ouvrage,  l'ordre,  le  plan  selon  lequel  on  doit 
distribuer  les  matières,  tout  cela  existe  déjà  dans  les  recueils 
antérieurs  :  dans  celui  d'Anselme,  de  Burchard  de  Worms. 
Donc,  ni  le  fonds,  ni  la  méthode,  ni  le  style  ne  peuvent  nous 
aider  à  trouver  une  solution. 

Il  est  encore  un  autre  moyen  de  constater  si  un  autem'  en 
a  reproduit  un  autre  :  c'est  d'arriver  à  bien  préciser  les  dates 
des  différents  manuscrits  ;  mais  ici  les  trois  recueils  appar- 
tiennent à  la  même  époque,  c'est-à-dire  au  douzième  siècle. 
Nous  en  sommes  donc  réduits  à  examiner  les  textes  cités,  à 
rechercher  ceux  qui  sont  communs  aux  deux  et  même  aux 
trois  ouvrages. 

Pour  ce  qui  regarde  les  Décrétales  ou  Lettres  des  Papes 
c'est-à-dire  la  première  partie  delà  collection  Tripartita^  elles 
sont  les  mêmes  plus  ou  moins  nombreuses  dans  les  trois 
recueils  (1).  Et  cela  s'explique  :  le  rédacteur  ou  les  rédacteurs 
de  nos  trois  ouvrages  ont  copié  le  recueil  du  pseudo-Isidore, 
insérant  les  fausses  comme  les  vraies  Décrétales  de  cette 
collection.  Depuis  la  fin  du  neuvième  siècle  où  la  collec- 
tion pseudo-Isidorienne  avait  vu  le  jour,  il  n'était  venu  à 
l'esprit  de  personne  que  l'erreur  et  la  falsification  fussent 
mêlées  à  la  vérité. 

De  même  pour  les  textes  des  Conciles  (2^  partie)  ils  ont  été 
également  copiés  dans  la  même  collection,  sauf  ce  qui  regarde 
les  Conciles  grecs  dont  nous  avons  parlé  plus  haut  et  dont  le 
pseudo-Isidore  ne  fait  aucune  mention.  Donc  ici  encore,  au 
seul  point  de  vue  des  textes,  il  serait  difficile  de  décider 
l'antériorité  d'un  de  ces  trois  ouvrages. 


(1)  Theincr  (f/e6er  Yvd's,  p.  29  note  5.)  cite  trente-huit  chap.  de  la 
Panomiie,  qui  sont  exactement  les  mêmes  que  dans  la  Tripartita. 


—  53  — 

Mais  c'est  surtout  sur  la  troisième  partie  de  la  collection 
Tripartita,  c'est-à-dire  sur  les  extraits  des  Pères  et  des  lois 
romaines  que  s'appuie  Theiner  pour  prouver  que  la  Panormie 
a  été  faite  sur  la  Triparlita.  «  Yves,  dit-il,  a  copié  dans  sa 
«  Panormie  des  chapitres  entiers  avec  leurs  rubriques  sans 
«  y  rien  changer  (1).  »  Et  il  cite  à  l'appui  plus  de  cent  passages 
ou  chapitres  qu'il  a  copiés  sur  la  Tripartita  (2).  a.  Toutes  les 
«  lois  romaines,  dit-il  encore,  que  contient  sa  Panormie,  il 
«  les  a  empruntées  à  la  seule  Tripartita.  »  Et  il  cite  encore 
plus  de  cent  douze  passages  à  l'appui  de  son  assertion  (3). 

Mais,  que  prouvent  tous  ces  rapprochements,  tous  ces 
nombreux  textes  signalés  dans  les  trois  ouvrages,  lorsqu'il 
s'agit  d'antériorité?  Que  la  Panormie,  que  le  Décret  contien- 
nent cent,  deux  cents  et  même  trois  cents  passages  de  la 
Tripartita,  cela  ne  prouve  pas  que  cette  dernière  collection 
soit  antérieure  aux  deux  autres.  Cependant,  il  y  a  une 
raison  que  n'invoque  pas  Theiner  et  qui  est  plus  décisive  que 
tous  ces  rapprochements  de  textes  :  c'est  le  plan  et  l'ordre 
même  de  la  Tripartita.  En  effet,  il  est  plus  naturel  qu'un 
livre  où  les  documents  sont  disposés  par  ordre  chronologique, 
soit  antérieur  à  celui  où  ces  mêmes  documents  sont  rangés 
d'après  l'ordre  des  matières  :  à  priori,  le  premier  paraît  plus 
rudimentaire,  il  a  plutôt  l'air  d'une  collection  de  matériaux 
rassemblés  pièce  à  pièce,  à  mesure  que  l'auteur  les  rencontre, 
que  d'un  livre  composé  avec  méthode.  C'est  la  même  diffé- 
rence qu'entre  les  annales  et  l'histoire  proprement  dite  :  pour 
les  premières,  l'auteur  se  contente  d'ajouter  les  faits,  les  uns 
aux  autres,  sans  les  étudier,  sans  les  grouper,  sans  montrer 
l'enchaînement  qui  les  relie  :  en  un  mot,  il  n'est  qu'annaliste; 
l'historien  lui,  s'empare  des  matériaux  accumulés  par  l'anna- 
liste, les  étudie,  les  compare  entre  eux,  en  forme  une  trame, 
une  œuvre  complète  qui  possède  âme  et  corps  :  ce  ne  sont 


(1)  Theiner,  Ibid.,  p.  27. 

(2)  Theiner,  ouvrage  cité  p.  27,  note  3. 

(3)  Ibid.,  p.  28,  note  4. 


—  54  — 

plus  les  ossements  d'un  squelette,  ajoutés  les  uns  aux  autres, 
c'est  un  être  vivant,  c'est  un  homme.  II  est  évident  que  l'an- 
naliste, le  chroniqueur  est  toujours  antérieur  à  l'historien  ou 
philosophe  qui  recueille  les  faits,  les  met  en  ordre  et  les 
explique.  C'est  pour  la  même  raison  que  nous  accordons 
l'antériorité  à  la  Tripartita  sur  le  Décret  et  la  Panormie. 

D'ailleurs,  si  on  lui  contestait  cette  antériorité,  il  faudrait 
admettre ,  en  raison  des  nombreuses  ressemblances  cons  - 
tatées  entre  elle  et  les  deux  recueils  d'Yves,  qu'elle  a  été 
copiée  sur  l'un  des  deux,  ce  qui  serait  absurde.  Quand  on  a 
entre  les  mains  un  livre  où  les  choses  sont  disposées  par 
ordre  de  matières,  c'est-à-dire  pour  la  plus  grande  commodité 
des  recherches ,  il  serait  assez  étrange ,  surtout ,  lorsqu'il 
s'agit  d'un  recueil  de  ce  genre,  qu'on  allât  prendre  chaque 
document  pour  le  replacer  à  son  ordre  chronologique  :  dans 
quel  but?  S'il  s'agissait  dans  cette  collection,  d'une  étude 
critique  des  textes  pour  les  ramener  à  leurs  véritables  sources 
et  préciser  exactement  la  date  où  ils  ont  paru,  cela  se  com- 
prendrait encore;  mais  il  faudrait  bien  peu  connaître  ces 
temps  du  moyen  âge  pour  supposer  un  instant  que  l'auteur  y 
ait  pensé,  et  pour  croire  qu'il  se  serait  livré  à  un  pareil  tra- 
vail. Au  onzième  ou  douzième  siècle,  on  ne  s'inquiétait  guère 
des  dates  ou  des  sources  :  les  idées  de  critique  historique 
faisaient  complètement  défaut,  on  peut  le  voir  par  la  lecture 
des  manuscrits  :  on  entassait  pêle-mêle  tout  ce  que  l'on  trou- 
vait, dès  lors  que  les  sujets  traités  paraissaient  avoir  quelque 
analogie,  on  ne  s'inquiétait  ni  de  l'auteur,  ni  de  l'époque  où  il 
avait  vécu.  Ainsi,  pour  ces  décrétales  des  Papes,  pour  ces 
canons  de  conciles  cités  en  si  grand  nombre  dans  la  Tripar- 
tita, il  n'est  jamais  question  de  dates,  l'auteur  n'a  pas  l'air 
de  s'en  préoccuper  en  aucune  façon.  Néanmoins,  il  faut  le 
reconnaître,  la  chronologie  n'y  est  pas  trop  en  faute,  car  dès 
ce  temps-là  on  avait  des  listes  très  exactes  des  Papes  et  l'au- 
teur insérait  leurs  lettres  d'après  l'ordre  de  ces  listes. 

Ainsi,  l'ordre  et  le  plan  de  la  collection  Tripartita  suffi- 
raient seuls  à  lui  assurer  l'antériorité  sur  les  deux  autres 


--  S5  — 

recueils.  Nous  ne  sommes  donc  pas  étonnés  de  voir  Theiner 
affirmer  franchement  qu'Yves  de  Chartres  avait  la  Tripartita 
sous  les  yeux  quand  il  composa  sa  Panormic,  et  que  l'auteur 
du  Décret  y  a  également  puisé  à  pleines  mains. 

Mais  ce  que  Theiner  a  deviné  avec  son  flair  de  chercheur  et 
d'homme  qui  étudie  aux  sources  mêmes,  nous  le  savons  par 
des  affirmations  certaines ,  par  des  documents  qui  ont 
échappé  à  l'œil  du  savant  allemand,  et  qu'il  nous  a  été  donné 
d'examiner  à  loisir  :  nous  voulons  parler  des  manuscrits  du 
bénédictin  D.  Gellé  que  nous  avons  déjà  cités  (1). 

Le  premier  (n°  12,317),  le  seul  dont  nous  nous  occuperons 
ici  est  intitulé  :  Lectioiies  in  Yvonem.  Il  renferme  les  maté- 
riaux d'une  édition  des  œuvres  d'Yves  de  Chartres  que 
D.  Gellé  voulait  donner  au  publié.  Dans  sa  Préface  (2),  l'au- 
teur indique  les  différents  ouvrages  qu'il  doit  faire  entrer  dans 
son  édition.  Arrivé  aux  œuvres  de  droit  canon  de  notre  prélat, 
le  savant  bénédictin  annonce  au  lecteur  «  qu'il  a  entre  les 
«  mains  trois  collections  de  canons  composées  par  Yves  »  (3). 
«  La  première,  dit-il,  et  la  plus  ancienne  qu'il  paraît  avoir 
«  composée  avant  son  élévation  à  l'épiscopat,  est  contenue 
«  dans  un  vieux  manuscrit  de  l'abbaye  de  Notre-Dame  de 
«  Josaphat,  près  de  Chartres  {h),  dans  lequel  se  trouve  beau- 
«  coup  d'extraits  des  lettres  des  souverains  pontifes,  depuis 
((  Clément  jusqu'à  Urbain ,  d'après  l'ordre  chronologique , 
«  avec  une  petite  Préface  »  (5).  —  «  Ensuite,  dit-il,  se  trou- 
ce  vent  des  canons  extraits  des  Conciles  tant  généraux  que 
«  particuliers.  » 


(1)  Biblioth.  uat.,  nouv.  fonds  lat.  N»  12317  et  n»  12318. 

(2)  Ibid.,  mss.  12317,  fol.  38. 

(3)  «  Très:  canonum  coUectiones  ab  Ivone  identidem  compositas  prae 
«  manibus  habemus.  »  Voir  mss.,  cité.  (Préface),  fol.  38.  V°. 

(4)  «  Primam  antiquiorem  quam  ante  adeptum  episcopatum  congessmc 
«  videtur  ordine  naturali,  simpUci  et  chronologico  ex  vetustissimo ,  cod. 
»  mfis.  Abbatise  B.  M.  de  Josaphat,  propè  Carnutum.  »  Voir  mss.  cité 
fol.  38. 

(5)  C'est  celle  que  nous  avons  signalée  dans  le  mss.  (3858)  de  la 
Biblioth.  nat. 


—  56  — 

Qui  ne  reconnaîtrait,  à  ces  indications,  un  manuscrit  de  la 
Tripartita  en  tout  semblable  à  celui  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale (n°  3858) ,  ainsi  qu'à  celui  de  Berlin  analysé  par  Theiner? 
L'ordre  chronologique  suivi  par  l'auteur,  la  petite  Préface,  les 
décrétales  des  Papes,  les  canons  des  Conciles  toujours  par 
ordre  chronologique,  c'est  beaucoup  plus  qu'il  n'en  faut  pour 
montrer  que  nous  sommes  en  présence  d'un  manuscrit  véri- 
table de  la  Tripartita. 

«  Dans  la  liste  des  Papes,  dit  D.  Gellé  continuant  son  ana- 
((  lyse,  il  est  fait  mention  des  papes  Chrysogone  et  Mer- 
«  cure  »  (1),  (absolument  comme  dans  le  mss.  de  Berlin). 
((  Vers  la  fin  du  volume,  continue  le  bénédictin,  se  trouvent 
«  des  extraits  des  Pères  et  des  sentences  rangées  en  ordre  à 
((  peu  près  sous  les  mêmes  titres  et  rubriques  que  celles  du 
((  Décret  et  de  la  Panormie.  »  Et  il  termine  par  cette  ré- 
flexion :  «  Ut  nemo  sit  qui  in  eo  Codice  delineatam  et 
«  informem  tùm  Decreti  tùm  Panormiœ  speciem  non  cons- 
((  jnciat  (2).  » 

Ainsi,  se  trouve  pleinement  confirmée  l'opinion  de  Theiner 
qui,  en  examinant  de  près  les  textes  et  en  les  rapprochant, 
était  arrivé  à  cette  conclusion  :  qu'Yves  de  Chartres  en  com- 
posant sa  Panonnie  avait  dû  avoir  la  Tripartita  sous  les 
yeux,  et  qu'il  y  avait  trouvé  les  matières,  le  plan  et  l'esquisse 
de  son  ouvrage  qi(asi  delineatam  speciem.  » 

Ce  qui  vient  encore  corroborer  le  sentiment  de  Theiner  c'est 
l'origine  même  de  ce  manuscrit  que  nous  ne  possédons  plus, 
mais  que  D.  Gellé  avait  entre  les  mains  au  commencement  du 
dix-huitième  siècle  (1708).  Il  vient  de  l'abbaye  de  Josaphat, 
tout  près  de  Chartres,  c'est-à-dire  d'un  lieu  qui  devait  être 
familier  à  notre  Prélat.  Selon  toute  probabilité  ce  manuscrit  à 
dû  lui  appartenir,  et  il  en  aura  fait  présent  à  la  Bibliothèque 
de  l'Abbaye.  «  Plusieurs  écrivains,  ajoute  D.  Gellé,  regardent 


(1)  Au  nom  de  Mercure,  D.  GelU'  met  à  la  marge  :  «  Joanem    II* 
qui  et  Mercurius  dicebatur.  »  Voir  mss.  cité  fol.  42.  V". 

(2)  Mss.  cité  fol.  39. 


— .  57  — 

<(  ce  manuscrit  comme  étant  un  autographe  même  d'Yves  de 
«  Chartres  :  Ut  Ivonis  ipsius  aiUographum  qiio,  ante  diges- 
«  ttmi  Decrctiim,  in  propositis  undeqnaque  qiœstionihus 
(c  resolvendis  velut  enchiridio  iitnretur  (1).  »  Ce  qui  n'aurait 
rien  d'étonnant  et  paraît  assez  vraisemblable.  C'est  ainsi, 
en  effet,  que  procèdent  ceux  qui  veulent  donner  au  public 
des  recueils  ou  dictionnaires  :  il  leur  faut  d'abord  préparer, 
rassembler  leurs  matériaux;  puis   distribuer,  ordonner  ces 
matériaux  pour  réunir  sous  un  même  titre  ceux  qui  se  rappor- 
tent au  même  sujet.  Qu'y  a-t-il  alors  de  plus  naturel  qu'Yves 
de  Chartres  ayant  l'intention  de  faire  un  recueil  de  droit 
canon,  à  l'exemple  de  Reginon  de  Priimn  et  de  Burchard  de 
Worms,  ait  commencé  par  rassembler  dans  un  volume  tout 
ce  qui  lui  était  nécessaire  pour  composer  son  ouvrage?  Que 
fait-il?  Il  prend  la  grande  collection  qui,  depuis  deux  siècles, 
faisait  autorité  :  celle  du  pseudo-Isidore;  il  en  extrait  les 
décrétales   les  plus  importantes,  et  il  y  ajoute  les  lettres 
des  papes  depuis  le  neuvième  siècle.  Puis,  il  copie  la  suite 
des  Conciles  de  la  même  collection  ;  mais  comme  on  connais- 
sait mieux  au  onzième  siècle  l'histoire  générale  de  l'Église, 
Yves  ajoute  aux  conciles   d'Isidore ,  les  conciles   grecs  de 
Laodicée,  de  Chalcédoine,etc...  Enfin, il  prend  dans  Burchard 
de  Worms  les  extraits  des  Pères,  les  lois  des  rois  chrétiens  et 
des  empereurs  romains  :  cette  fois  il  possède  tous  les  maté- 
rieux  nécessaires  pour  composer  un  ouvrage  mieux  digéré; 
il  transformera  cette  ((  imligesta  moles  »  en  un  ouvrage  plus 
méthodique  et  plus  régulier;  il  nous  donnera  la  Panormie. 
Ce  qui  confirme  notre  opinion  c'est  que  l'évêque  de  Chartres, 
dans  beaucoup  de  ses  lettres,  surtout  dans  les  premières, 
par  ordre  chronologique ,  appuie  souvent  ses  réponses  par 
des  textes  et  des  canons  de  Conciles   qu'on  ne  trouve  que 
dans  la  Tripartita^  et   qui  ne  se  rencontrent  pas  dans  la 
Panormie  (2) . 


(1)  Mss.  cité  fol.  38. 

(2)  Epist.  47.  Collect.  Tripart.,  p.  I,  tit.  46,  c.  n.  — Epist.  60.  Col- 


—  o8  — 

Il  est  donc  incontestable  qu'Yves  avait  entre  les  mains  la 
Tripartita^  qu'il  y  a  puisé  largement,  qu'elle  lui  servait  de 
manuel,  d'enchiridion,  lorsqu'il  avait  à  répondre  aux  nom- 
breuses questions  qu'on  lui  soumettait  de  tous  les  côtés. 

Alors,  pourquoi  n'attribuerions-nous  pas  la  paternité  de  cet 
ouvrage  à  Yves  lui-même?  Le  manuscrit,  il  est  vrai,  ne 
porte  aucun  nom,  ni  aucune  date  de  sa  composition  ;  mais  il 
en  est  de  même  pour  beaucoup  de  manuscrits  du  moyen  âge, 
c'est  à  ceux  qui  les  étudient  à  déterminer  les  dates  et  à  cher- 
cher les  noms  des  auteurs. 

Il  n'est  pas  difficile,  il  nous  semble,  d'établir  l'époque  de 
la  composition  de  la  Tripartita.  D'abord,  il  n'est  nulle  part 
question  de  cet  ouvrage  avant  le  onzième  siècle  :  on  connaît 
les  recueils  d'Isidore,  de  Reginon,  de  Burchard,  mais  il  n'est 
nullement  question  de  cette  collection.  En  outre,  ayant  em- 
prunté toute  sa  troisième  partie  à  Burchard,  l'auteur  a  donc 
composé  son  ouvrage  après  celui  de  l'évêque  de  Worms, 
c'est-à-dire  après  1025.  D'un  autre  côté,  la  Tripartita  con- 
tient ,  dans  la  longue  série  des  décretales  des  Papes  des 
lettres  d'Urbain  II,  et  il  ne  s'en  trouve  aucune  des  Papes  pos- 
térieurs à  Urbain,  d'où  il  faut  conclure  que  la  date  de  ce  ma- 
nuscrit ne  peut  point  aller  au-delà  du  onzième  siècle  (Urbain 
meurt  en  1099),  et  puisque  l'auteur  cite  à  la  suite  et  dans 
leur  ordre  chronologique  les  Papes  dont  il  emprunte  les 
épîtres,  nous  sommes  autorisés  à  penser  qu'il  vivait  au  temps 
d'Urbain  II,  et  qu'il  a  composé  son  ouvrage  pendant  le  règne 
de  ce  pape.  Voilà  donc  la  composition  de  la  Tripartita  circons- 
crite entre  deux  dates  certaines  :  la  mort  de  Burchard  en 
1025,  et  celle  d'Urbain  II  en  1099. 

Or,  n'est-ce  pas  précisément  l'époque  où  vécut  Yves  de 
C-hartres?  Urbain  monta  sur  le  trône  pontifical  en  1089, 
c'est-à-dire  au  moment  où  Yves  était  encore  à  la  tête  de  l'Ab- 
baye de  Saint-Quentin,  et  se  livrait,  comme  nous  l'avons  dit, 


lect.  Tripart..,  p.  I,  tit.  3î,  c.  ii.  Pour  les  autres  rapprochements  de 
textes,  voir  Theiner,  ouvrage  cité  p.  30  (note  6). 


—  59  — 

à  l'enseignement  des  lettres  et  de  la  théologie  dans  l'école 
même  qu'il  avait  fondée.  Quoi  de  plus  naturel  alors  que  le 
docte  professeur  ajoutât  aux  décrétales  qu'il  avait  déjà 
réunies  celles  du  nouveau  pape  dont  il  pouvait  avoir  con- 
naissance? (1) 

Il  ne  peut  donc  plus  y  avoir  aucun  doute  sur  la  date  de  la 
composition  de  la  Tri'partita  :  elle  a  été  rédigée  dans  la 
seconde  moitié  du  onzième  siècle. 

Quant  au  nom  de  l'auteur  la  certitude  est  moindre  ;  mais 
d'après  ce  que  nous  avons  dit,  et  sur  le  mode  de  composition, 
et  sur  les  nombreux  emprunts,  et  sur  les  citations  exactes  et 
textuelles  qu'Yves  en  a  faites  dans  ses  lettres  et  dans  sa 
Panormie,  nous  avons  tout  lieu  de  supposer  que  la  collection 
n'a  pas  d'autre  auteur  que  notre  Yves  lui-même.  11  aura  con- 
sacré ses  quinze  années  passées  à  l'Abbaye  de  Saint-Quentin, 
a  réunir  dans  ce  grand  volume  tous  les  matériaux  qu'il  a  pu 
connaître  pour  en  faire,  comme  il  le  dit  lui-même  dans  la 
Prologue  de  la  Panormie  «  un  manuel,  un  enchiridion  où  le 
«  lecteur  puisse  trouver  immédiatement  le  point  qu'il  cher- 
«  che  »  (2). 

D'un  autre  côté,  on  s'explicpie  très  bien  qu'Yves,  dans  son 
Prologue,  ait  gardé  le  silence  sur  ce  premier  recueil  ;  pour  lui 
ce  n'était  pas  un  ouvrage  destiné  à  voir  le  jour,  c'était  une 
somme  de  matériaux  qu'il  réservait  à  son  usage  particulier, 
et  pour  la  composition  d'un  gi'and  ouvrage  sur  le  droit  canon  ; 
il  était  inutile  de  faire  entrer  le  public  dans  la  confidence  et 
de  lui  faire  connaître  ce  travail  préparatoire. 

D'ailleurs,  il  suffit  de  parcourir  attentivement  les  sept  ou 
huit  premières  lignes  du  Prologue  pour  être  convaincu  de  ce 
que  nous  avançons,  nous  les  citons  textuellement  :  Excerp- 
tiones  ecclesiasticarum  regiilarum  partim  ex  epistolis  Ro- 
manoriim  pontificum,  partim  ex  gestis  conciliorum  catho- 


(1)  On  sait  qu'Yves  de  Cliartres  fut  sacré  évêque  par  Urbain  II 
lui-même,  à  Alatrie  en  1090. 

(2)  Voir  Prologue  Panormie  (fin). 


—  60  — 

licorum  episcoponim^  partim  ex  tractatibus  Patrum  ortho- 
doxonim^  partim  ex  institutionihus  catholicorum  regum 
nonmiillo  labore  in  unum  {opus)  corpus  adimare  cwavi  Cl). 

Qui  pourrait  ne  pas  reconnaître,  avec  la  dernière  évidence, 
dans  ces  quelques  lignes  qui  sont  tout  le  programme  d'Yves, 
et  le  plan  et  les  matières  de  la  Tripartita,  dont  l'auteur  veut 
faire  un  seul  livre  [iinum  opiis)  commode  et  pratique?  Ne  dit- 
il  pas  clairement  que  tout  ce  qu'il  va  donner,  il  l'a  tiré  des 
Épitres  des  Papes,  des  canons  des  conciles,  des  ouvrages 
des  Pères,  des  lois  des  rois  catholiques,  en  un  mot  de  toutes 
les  sources  dont  se  compose  la  Tripartita  ?  Qui  ne  voit  dans 
cette  énumération  le  dessein  formel  de  l'auteur  de  mettre  à  la 
portée  de  tout  le  monde  ce  que  lui  possède  dans  son  recueil? 
C4'est  lui-même  qui  nous  le  dit  :  «  Ut  qui  scripta  illa  ex 
«  quihus  ista  excerpta  sunt  ad  manum  habere  non  poterit^ 
«  hiiic  saltem  accipiat  qiiod  ad  commodiim  causse  skss 
«  valere  perspexerit  (2).  » 

Enfin,  un  dernier  argument  qui  n'est  pas  sans  importance 
en  faveur  de  notre  thèse  :  c'est  que  le  prologue  d'Yves  se 
trouve  en  tête  de  la  Tripartita;  du  mohis  dans  le  manuscrit 
de  Berlin  (3).  Évidemment,  le  prologue  n'a  pas  été  fait  pour 
cette  collection  :  la  simple  lecture  le  démontre  assez  claire- 
ment, cependant,  pourquoi  le  rédacteur  des  manuscrits  de 
Berlin  l'a-t-il  inséré  en  tête  de  son  volume?  C'est  qu'il  sup- 
posait que  l'Évêque  de  Chartres  en  était  l'auteur  ;  il  débute 
par  le  prologue  avec  ces  mots  :  «  Prologus  sequentis  operis.  » 
Et  il  se  met  immédiatement  à  copier  le  prologue  bien  connu 
d'Yves  de  Chartres,  indiquant  que  cette  préface  appartient 
à  l'ouvrage  qui  va  suivre. 

Nous  ne  prétendons  pas  que  tous  ces  arguments  soient 
décisif?  en  faveur  de  notre  sentiment,  néanmoins  ils  ne  lais- 
sent pas  que  de  lui  donner  une  certaine  vraisemblance  ;  et  si 


(1)  Prologue  (commencement). 

(2)  Ibid.. 

(3)  Voir  plus  haut.  (Descriptions  du  mss.  de  Berlin). 


—  61  — 

nous  ne  pouvons  pas,  comme  nous  l'avons  fait  pour  la  Pa- 
normie,  attribuer  avec  une  pleine  certitude,  la  paternité  de  la 
collection  Tripartita  à  notre  Evêque  de  Chartres,  du  moins 
nous  pouvons  dire  que  notre  opinion  a  pour  elle  une  grande 
probabilité. 


CHAPITRE    IV 

LE  DÉCRET 


Le  Décret  appartient-il  réellement  à  Yves  de  Chartres, 
comme  on  l'a  cru  jusqu'ici?  Comment  a-t-il  été  composé? 
Dans  quels  rapports  est-il  avec  la  collection  Tripartito,  ? 
Enfin,  quels  sont  les  manuscrits  qui  nous  restent? 

Autant  de  questions  qu'il  importe  de  résoudre  et  à  la  solu- 
tion desquelles  nous  consacrons  le  présent  chapitre. 

Disons  d'abord  que  le  nom  de  Décret^  pas  plus  que  celui 
de  Panormie,  n'a  été  donné  au  recueil  par  l'auteur  lui- 
même  :  il  est  même  très  probable  que  ce  titre  n'a  été  mis 
en  tête  de  cette  collection  que  longtemps  après  sa  rédaction, 
puisqu'on  ne  le  trouve  dans  aucun  des  manuscrits  qui  nous 
restent  (1). 

Maintenant,  dans  quels  rapports  est  le  Décret  avec  la  collec- 
tion Tripartita? 

Nous  avons  déjà  répondu  implicitement  à  cette  question 
dans  les  deux  chapitres  précédents  :  en  prouvant  l'antériorité 
de  la  Panormie  sur  le  Décret,  et  en  examinant  les  rapports 
de  la  Panormie  avec  la  Tripartita. 

(1)  On  sait  que  ce  u'est  pas  Gratien  qui  a  donné  à  son  recueil,  le 
nom  de  Décret  qui  lui  est  resté  dans  l'histoire.  Il  avait  intitulé  sa 
collection  :  •«  Concordantia  discordantium  canonum.  »  Ce  sont  ses  dis- 
ciples qui  après  sa  mort,  ont  imposé  à  son  ouvrage  le  titre  de  Décret. 


—  63  — 

Si  en  elTet,  il  est  prouvé,  d'un  côté  que  la  Panoimie  a  été 
faite  avec  les  matériaux  de  la  Tripartita  ;  si,  de  l'autre,  il  est 
admis  que  le  Décret  n'est  que  le  développement  de  la  Pa- 
normie^  il  s'ensuit  que  l'auteur  du  Décret  a  réellement  repro- 
duit une  partie  de  la  collection  Tripartita  dans  son  ouvrage. 

Mais,  comme  le  Décret  est  beaucoup  plus  considérable 
que  la  Panormie  et  que  les  emprunts  fait  à  la  Tripartita  doi- 
vent être  plus  nombreux,  il  est  nécessaire  de  revenir  sur  la 
question  :  d'entrer  dans  le  détail  de  la  composition  du  Décret 
et  de  voir  d'une  manière  plus  précise,  ce  qu'il  doit  à  cette 
dernière  collection. 

Comme  nous  l'avons  dit  déjà,  le  Décret  contient  dix-sept 
parties  sous  lesquelles  sont  rangés  un  grand  nombre  de  cha- 
pitres (1).  Le  plan  et  la  forme  de  l'ouvrage  sont  absolument 
semblables  à  la  disposition  de  la  Panormie  :  division  par 
livres  ou  parties,  rubriques  des  chapitres,  manière  de  citer 
les  textes  et  documents,  tout  ressemble  à  la  Panormie;  seu- 
lement le  Décret  est  plus  abondant,  plus  développé,  il  con- 
tient beaucoup  plus  de  textes  que  la  Panormie;  et  il  y  a  ceci 
de  remarquable  :  c'est  que  le  Décret  est  plus  développé  que 
la  Panormie^  là  où  la  même  matière  est  plus  abondante  dans 
la  collection  Tripartita.  On  voit  que  le  rédacteur  avait  en 
même  temps  sous  les  yeux  les  deux  collections.  C'est  l'opi- 
nion du  savant  auteur  de  l'Histoire  du  droit  romain  au  moyen 
âge,  qui  a  étudié  la  question  dans  les  manuscrits  et  aux 
sources  les  plus  authentiques  (2). 

Nous  avons  déjà  dit  comment  l'auteur  du  Décret  était 
arrivé  à  diviser  son  ouvrage  en  dix-sept  parties,  tout  en  sui- 
vant Tordre  et  le  plan  de  la  Panormie^  il  a  simplement 
dédoublé  les  huit  parties  de  ce  dernier  recueil. 

Quand  à  la  dix-septième  partie  (3),  elle  a  été  ajoutée  aux 
autres  comme  un  appendice,  disons  le  mot,  comme  un  hors 

(l)Il  y  a  certaines  parties  où  il  s'en  trouve  jusqu'à  378  et  même  435. 

(2)  Savigny,  Histoire  du  Droit  Rom.  au  Moyen  âge,  t.  II,  §  107. 

(3)  Elle  est  intitulée  :  «  Sentcntiœ  spéculative  sanctorum  Patrum^ 
«  de  Fide,  spe  et  churitate.  » 


—  64  — 

d' œuvre:  c'est  ce  qui  explique  son  absence  dans  le  manuscrit 
de  la  Bibliothèque  nationale  (1),  ainsi  que  dans  tous  les 
abrégés  qui  ont  été  faits  du  Décret.  Cette  omission  prouve 
que  les  copistes  regardaient  cette  dix-septième  partie  comme 
apocryphe  ou  inutile  ;  elle  a  été  empruntée  en  grande  partie 
aux  OEuvres  de  saint  Augustin  et  au  Recueil  de  Burchard  de 
Wo]"ms. 

La  première  et  la  deuxième  partie  du  Décret  ont  été  puisées 
en  entier  dans  le  Panormie^  mais  les  quatorze  autres  parties, 
tout  en  suivant  le  plan  de  ce  dernier  ouvrage,  ont  été  em- 
pruntées à  la  troisième  partie  de  la  Tripartita  qui  présentait 
des  rubriques  plus  nombreuses.  Le  rédacteur  du  Décret  a 
a  réuni  souvent  plusieurs  de  ces  rubriques  en  une  seule, 
selon  que  le  plan  de  son  ouvrage  l'exigeait.  Ainsi  la  troisième 
partie  {De  Eccleùa)  correspond  à  la  troisième  rubrique  de  la 
Tripartita  (troisième  partie) .  La  quatrième  partie  du  Décret 
correspond  à  la  quatrième,  cinquième,  sixième  et  septième 
rubrique  de  la  Tripartita  ;  la  cinquième  partie  {De  primatu 
romanse  ecclesiœ),  correspond  à  la  huitième  et  neuvième 
rubrique  de  la  Tripartita. 

La  sixième  partie  à  la  dixième  rubrique. 

La  septième  partie  à  la  onzième,  douzième,  treizième,  qua- 
torzième rubrique. 

La  huitième  partie  à  la  quinzième  rubrique. 

La  neuvième  partie  à  la  seizième,  dix-septième,  dix-huitième 
dix-neuvième  rubrique. 

La  dixième  partie  à  la  vingtième  rubrique. 

La  onzième  partie  à  la  vingt  et  unième  rubrique. 

La  douzième  partie  à  la  vingt-deuxième  rubrique. 

La  treizième  partie  à  la  vingt-troisième,  vingt-quatrième, 
vingt-cinquième  et  vingt-septième  rubrique. 

La  quatorzième,  quinzième  et  seizième  partie  à  la  vingt- 
septième,  vingt-huitième,  vingt-neuvième  qui  est  la  dernière 
de  la  Tripartita. 

(1)  Ane.  fonds  lat.  N»  3874. 


Mais  l'auteur  du  Décret  ne  se  contenta  point  du  plan  et  de 
la  division  des  rubriques  de  la  Tripartita,  il  en  copie  également 
les  matièies  contenues  sous  ces  diverses  rubriques. 

A  l'exemple  de  l'auteur  de  la  Panormie^  il  fit  de  nombreux 
emprunts  à  la  collection  de  Burchard  (1). 

Savigny,  qui  lui  aussi  a  étudié  de  près  le  Décret  el  la  collec- 
tion Tripartita  «  trouve  entre  ces  deux  ouvrages  des  analo- 
«  gies  frappantes  surtout  (et  c'était  là  ce  qui  l'intéressait 
«  davantage;  pour  les  citations  de  lois  romaines.  »  —  «  Des 
«  séries  entières,  dit-il,  de  fragments  empruntés  au  droit 
«  romain  paraissent  dans  les  deux  collections  exactement 
«  dans  le  même  ordre  ("2)  •» .  Et  il  cite  la  seizième  partie  du 
Décret  où  sur  cent  trente-six  chapitres  pris  de  suite  (de 
soixante  à  cent  quatre-vingt  quinze)  il  s^en  trouve  cent  quatorze 
qui  contiennent  des  fragments  du  Droit  romain  rangés  et  dis- 
posés absolument  dans  le  même  ordre  que  dans  la  Tripartita 
et  sous  les  mêmes  rubriques  (3),  «  de  sorte,  continue  Savi- 
«  gny,  qu'il  faut  admettre  tant  l'analogie  est  frappante,  que 
<(  le  Décret  d'Yves  a  servi  de  modèle  à  la  collection  Tripar- 
«  tita  ou  vice  versa;  »  mais  le  Décret  lui  paraissant  rédigé 
d'après  un  plan  plus  étudié  et  plus  systématique,  le  docte 
jurisconsulte  est  d'avis  que  ce  dernier  recueil  a  été  composé 
sur  la  Tripai'tita  [h). 

Toutes  les  citations  et  rapprochements  que  nous  venons 
de  faire  nous  amènent  à  connaître  d'une  façon  presque  cer- 
taine, la  manière  dont  l'auteur  a  composé  son  Décret.  Il  est 
arrivé  pour  ce  recueil,  dans  le  monde  littéraire,  ce  qui  arrive 
toujours  lorsqu'on  discute  la  paternité  d'un  ouvrage,  on  veut 
l'enlever  à  un  écrivain  et  l'on  est  souvent  forcé  de  lui  en  attri- 


(i)  Theiner,  p.  il  (note  14)  cito  par  centaines  les  chapitres  em- 
pruntés au  recueil  de  l'évêque  de  Worms  ;  M  renonce  même  à  tout 
énumérer.il  termine  ses  citations  par  etc. 

(2)  Savigny,  ouvrage  cité  t.  II,  §  107. 

(3)  C'est  le  dernier  grand  titre  de  la  Tripartita  «  De  officiis  et  eau- 
sis  Laïcorum  »,  oii  sont  rassemblées  toutes  les  matières  juridiques. 

(4)  Ibid.,  loc.  cit.,  §  107. 


—  66  — 

buer  un  autre  :  il  faut  bien  compter  avec  la  réputation  qui 
s'est  foimée  du  temps  même  de  Tauteur  et  se  perpétue  à  tra- 
vers les  âges.  C'est  ce  qui  s'est  passé  pour  Yves  de  Chartres. 

Des  écrivains,  frappés  de  l'importance  et  des  développe- 
ments du  Décret^  et  lui  comparant  l' exiguïté  de  la  Panormie, 
sans  entrer  davantage  dans  l'examen  des  textes  et  la  compo- 
sition de  l'ouvrage,  ont  affirmé  qu'Yves  avait  d'abord  composé 
un  grand  recueil  de  canons,  le  Décret;  puis,  qu'un  autre 
écrivain,  quelques  années  plus  tard,  en  avait  fait  un  abrégé; 
et  ayant  rencontré  le  mot  de  Panormie  dans  un  ouvrage  de 
Hugues  de  Chàlons,  ils  l'ont  regardé  comme  l'auteur  de  cet 
abrégé  (4).  Mais  cette  opinion  émise  par  des  hommes  qui 
n'avaient  que  superficiellement  étudié  la  question  fut  facile- 
ment battue  en  brèche  par  Doujat,  le  docte  Baluze  et  les 
savants  auteurs  de  VHistoii^e  littéraire  (5). 

D'un  autre  côté  cependant,  ces  mêmes  auteurs  prétendent 
que  l'Évêque  de  Chartres  a  commencé  par  écrire  sa  Panormie 
et  que  voyant  l'accueil  favorable  fait  à  son  ouvrage,  il  se 
décida  à  la  refaire  plus  en  grand,  tout  en  conservant  le  même 
plan  :  «  C'est  ce  qu'il  réalisa,  ajoutent-ils,  par  la  rédaction 
u  de  son  Décret.  11  ne  fit  que  changer  un  peu  l'ordre  des 
«  sujets,  dont  traite  la  Panormie.,  les  discuter  avec  beaucoup 
«  plus  d'étendue  et  y  en  a  ajouter  de  nouveaux  (3).  » 

Mais,  où  voit-on  dans  la  vie  et  les  œuvres  d'Yves  de  Chartres 
qu'on  avait  fait  un  accueil  favorable  à  la  Panormie'l  Nulle 
part;  on  le  regardait  comme  un  savant  canoniste,  mais  en 
nul  endroit  de  ses  lettres  il  n'est  question  ce  cet  accueil; 
nous  répétons  ici  que  notre  auteur  ne  parle  qu'une  seule 
fois  de  ses  ouvrages,  c'est  dans  sa  lettre  à  l'abbé  de  Cluny  [h). 


(1)  Nous  avons  montré  plus  haut  (voir  ch.  n),  qu'il  était  bien  facile 
de  ne  pas  tomber  dans  cette  erreur,  puisque  Albéric  des  Trois- Fon- 
taines dit  formellement  que  l'évèque  de  Ghâlons  a  composé  un 
enchiridion  «  secundum  Panoimiam  Ivonis.  » 

(2)  Histoire  littéraire,  t.  X,  p.  119  et  suiv. 
(8)  Ibid.,  p.  122. 

(i)  Epist.  2G2.  Colkctioncs  canonum  et  opuscida  mea. 


—  G7  — 

L'assertion  des  savants  bénédictins  nous  paraît  donc  toute 
gratuite. 

Que  dirons-nous  de  cette  autre  affirmation  qui  ne  nous 
étonne  pas  moins  de  leur  part  :  que  dans  le  Décret^  Yves 
discute  davantage  les  sujets  traités  dans  la  Panormie  ?  Mais 
l'auteur  du  Décret  ne  discute  absolument  rien  dans  son  ou- 
vrage, il  se  contente  d'ajouter  aux  Décrctales,  aux  canons 
déjà  contenus  dans  la  Panormie^  d'autres  lettres  des  Papes, 
d'autres  canons  des  conciles  ;  mais  il  ne  discute  aucun  des 
textes  ni  des  documents  qu'il  cite. 

Et  c'est  là  précisément  notre  grand  regret,  et  une  forte 
preuve  en  faveur  de  l'opinion  que  nous  soutiendrons  à  la 
fin  de  ce  chapitre  :  c'est  que  l'auteur  du  Décret  n'entre  dans 
aucune  discussion.  Autrement,  il  nous  eût  dit  :  J'ai  prouvé 
telle  chose  par  tels  et  tels  textes  dans  la  Panormie^  en  voici 
d'autres  qui  viennent  corroborer  mon  sentiment,  c'est  ce 
que  fait  Gratien  dans  son  grand  ouvrage  de  Droit  canon.  Si 
les  choses  se  fussent  passées  ainsi,  la  discussion  que  nous 
soulevons  ici  et  qui  fait  l'objet  de  ce  travail  n'aurait  jamais 
eu  lieu. 

Les  FF.  Ballerini,  dans  leur  dissertation  sur  le  Décret  ont 
soutenu  également  que  cet  ouvrage  n'est  que  la  Panormie^ 
augmentée,  développée  par  de  nouveaux  textes  et  rédigée  sur 
un  plan  nouveau  et  dans  un  ordre  meilleur  (1). 

En  effet,  pour  quiconque  se  contente  de  prendre  les  deux 
ouvrages  et  de  les  comparer  l'un  à  l'autre,  parties  par  parties, 
sans  examiner  ni  les  collections  antérieures,  ni  le  Prologue, 
ni  les  dates,  ni  les  manuscrits,  il  arrive  assez  naturellement  à 
conclure  que  le  Décret  n'est  que  le  développement  de  la 
Panormie.  Et  d'ailleurs,  quand  cela  serait,  il  ne  serait  pas 
encore  prouvé  qu'Yves  de  Chartres  soit  l'auteur  de  ce  second 
ouvrage.  Aussi,  nos  deux  savants  italiens  ne  donnent-ils  leur 
jugement  qu'avec  une  certaine  hésitation  :  «  Si  nous  avions  à 
«•  douter,  disent-ils  en  terminant,  de  la  paternité  de  ces  deux 

(l)  Ballerini,  op.  cil.,  pars  IV  a,  c.  xvi. 


—  68  — 

«  ouviages  (la  Panormie  et  le  Décret)  ce  serait  plutôt  du 
«  second  que  du  premier  (1),  »  C'est-à-dire  que  la  paternité 
de  la  Panormie  leur  paraissait  établie  sur  des  preuves  invin- 
cibles, tandis  que  pour  le  Décret,  ils  étaient  loin  d'en  posséder 
d'aussi  fortes.  Eux-mêmes  se  plaignent  de  la  rareté  des  ma- 
nuscrits, ils  regrettent  de  n'y  trouver  ni  le  nom  d'Yves,  ni 
son  Prologue  et  ils  terminent  par  cette  hypothèse  :  «  Après  sa 
((  Panormie,  disent-ils,  Yves  composa  une  collection  de  ca- 
<(  nons  plus  considérable,  mais  ne  la  donna  peut-être  pas  lui- 
((  même  au  public.  On  l'aura  trouvée  après  sa  mort,  et  on 
«  aura  ajouté  le  prologue  de  la  Panormie  aux  rares  manus- 
«  crits  qui  existaient,  c'est  peut-être  pour  cela  que  dans  le 
«  manuscrit  de  saint  Victor  on  a  mis  le  Prologue  no7i  in 
((  fronte  secl  in  fine  Decreti  (2) .  » 

Leur  affirmation,  on  le  voit,  est  donc  loin  d'être  catégo- 
rique et  décisive  :  elle  laisse  le  champ  ouvert  à  la  discussion. 

Savigny  qui  a  étudié  non  seulement  la  Panormie  et  le  Dé- 
cret mais  encore  la  collection  Tripartita  arrive  à  peu  près  à  la 
môme  conclusion  que  les  Ballerini  avec  cette  différence  toute- 
fois qu'il  reconnaît  et  prouve  qu'Yves  a  copié  beaucoup  et 
beaucoup  la  Tripartita  ;  qu'il  a  pris  le  plan  du  Décret  dans  la 
Panormie  et  les  matériaux  dans  l'autre  collection,  de  sorte 
que  son  livre  aurait  été  formé  de  la  fusion  des  deux  autres. 
Néanmoins  il  ajoute  comme  les  Ballerini  :  «  Nous  avons 
«  beaucoup  moins  de  motifs  pour  attribuer  à  Yves  la  rédac- 
«  tion  du  Décret  que  celle  de  la  Panormie  (3).  » 

Chez  lui  aussi,  on  le  voit,  il  n'y  a  pas  une  certitude  bien 
fondée  sur  l'authenticité  du  Décret  :  il  reste  des  doutes  sérieux 
dans  son  esprit. 

L'opinion  de  Tlieiner  nous  paraît  beaucoup  plus  naturelle 
et  mieux  établie.  Le  savant  allemand  ne  raisonne  pas  h. priori 
sur  la  simple  comparaison  des  textes  contenus  dans  les  di- 

(1)  Ballerini,  ojj.  cit.,  c.  xvi. 

(2)  Ibid. 

(3)  Savigny,  ouvrage  cité  t.  II,  §  lO'J. 


—  69  — 

verses  éditions  des  œuvres  d'Yves  :  il  s'appuie  sur  des  docu- 
ments historiques  et  sur  un  examen  scrupuleux  des  manus- 
crits. 

La  Pcmormie,  dit-il,  comparée  à  l'énorme  collection  Tri- 
partita  paraît  pauvre  et  incomplète  pour  trancher  toutes  les 
questions  qui  pouvaient  s'élever  dans  l'Église. 

Yves  aurait  pu  certainement  puiser  davantage  dans  la  col- 
lection qu'il  devait  avoir  entre  les  mains  (1)  et  il  aurait  pu 
augmenter  le  nombre  des  rubriques  et  des  chapitres  sans 
nuire  certainement  à  l'ordre  général  de  son  livre. 

Or  ce  qu'Yves  n'a  pas  fait,  ajoute-t-il,  deux  autres  l'ont 
fait  :  l'un  qu'il  prétend  être  Hildebert  du  Mans  dans  sa  Pa- 
normie  en  dix  livres  (2)  et  l'autre  qui  de  parti  pris,  a  usurpé 
le  nom  d'Yves,  ou  ce  qui  est  plus  vraisemblable  par  l'erreur 
ou  l'ignorance  des  copistes  a  composé  un  ouvrage  qui  nous 
est  parvenu  sous  le  nom  d'Yves  de  Chartres  :  c'est  ce  compi- 
lateur inconnu  qui  pendant  la  vie  de  notre  prélat  où  quelque 
temps  après  sa  mort  aurait  rédigé  le  Décret  :  il  aurait  eu  à  sa 
disposition,  comme  nous  l'avons  montré  plus  haut  (3)  et  la 
collection  de  Burchard  dans  laquelle  il  a  puisé  à  pleines 
mains  et  la  Panormie  dont  il  a  copié  le  plan  en  en  dédou- 
blant les  parties  et  dont  il  a  reproduit  la  plupart  des  textes  {h) 
et  enfin  la  collection  Tripartita,  à  laquelle  comme  le  recon- 
naît Savigny,  il  a  fait  les  plus  larges  emprunts  et  qu'il  a,  en 
beaucoup  d'endroits,  copiée  textuellement.  Puis,  cela  fait,  il 
a  jugé  qu'il  n^  avait  rien  de  mieux  pour  lui  que  de  placer  en 
tête  de  sa  compilation  le  Prologue  et  de  la  faire  accepter 
grâce  au  nom  et  sous  le  couvert  d'un  homme  si  savant  en 
droit  canon,  dont  la  réputation  ne  faisait  que  croître,  même 
après  qu'il  avait  disparu  de  la  scène  du  monde. 


(1)  Ce  que  Theiner  ne  faisait  que  supposer  par  l'examen  des  textes, 
nous  le  savons  aujourd'hui  par  les  attestations  de  D.  Gellé  et  par  la 
description  qu'il  donne  du  mss.  de  Josaphat  (voir  mss.  12317). 

(2)  Theiner,  op.  cit.,  p.  32  (note  8). 

(3)  Ghap.  iir. 

(4)  Mss.  12317.  Biblioth.  nat. 


—  70  — 

Donc,  aux  yeux  de  Theiner,  Yves  dont  il  apprécie  tout  le 
talent  et  les  lumières  n'est  pas  l'auteur  du  Décret;  et  c'est  à 
tort  que  les  copistes  du  douzième  et  treizième  siècle,  et  après 
eux  les  éditeurs  du  dix-septième  en  ont  attribué  la  rédaction 
à  l'évêque  de  Chartres. 

C'est  cette  question  qu'il  importe  d'étudier  à  nouveau  et 
d'examiner  à  fond  :  Yves  est-il  réellement  l'auteur  du  Décret 
qui  porte  son  nom?  Nous  ne  le  pensons  pas  et  voici  les  rai- 
sons qui  nous  semblent  militer  en  faveur  de  notre  opinion. 

D'abord,  la  rareté  des  manuscrits  du  Décret. 

La  Panormie^  nous  l'avons  vu,  était  répandue  partout  dès 
le  douzième  siècle  (1)  que  dis-je  ?  même  avant  la  mort  de  son 
auteur  elle  était  déjà  connue  et  entre  les  mains  de  plusieurs 
personnes  (2).  Pour  le  Décret^  au  contraire,  nous  n'avons 
aucun  témoignage,  aucune  allusion  dans  les  auteurs  contem- 
porains ou  qui  suivent  de  près  la  mort  de  l'évêque  de 
Chartres;  on  n'a  même  pas  de  manuscrit  bien  authentique  de 
cet  ouvrage  parmi  les  quatre  ou  cinq  qui  nous  restent,  comme 
nous  allons  le  voir. 

Est-ce  que,  si  Yves  était  l'auteur  du  Décret,  on  n'en  eût 
pas  trouvé  un  ou  plusieurs  exemplaires  soit  à  la  cathédrale 
de  Chartres,  soit  à  TÉvêché,  soit  dans  une  des  nombreuses 
abbayes  de  la  ville  et  des  environs  comme  on  y  a  trouvé  des 
manuscrits  de  la  Panormie  et  de  la  Trij^^artital  Si  le  Décret 
eût  été  le  manuel  ordinaire  de  l'Evêque  de  Chartres,  il  est 
impossible  qu'on  n'en  ait  pas  trouvé  quelque  trace  autour  de 
lui;  or,  nous  le  répétons,  on  n'y  a  jamais  rencontré  le  moindre 
exemplaire  :  rien,  absolument  rien  du  Décret  ou  quelque 
chose  qui  y  fit  allusion.  N'est-ce  point  déjà  une  forte  présomp- 
tion en  faveur  de  notre  sentiment? 

Parmi  les  manuscrits  qui  nous  restent,  il  n'y  en  a  pas  un 

(1)  Voir  Témoignage  de.  Vinconl,  do  Boauvais,  laPfmo;'w?>  en  dix 
livres,  l'abrégé  de  Hugues  de  Châlons,  d'Haimoa  de  Bazoches. 

(2)  Témoignage  de  Sigebert  en  1110.  Nous  verrons  à  la  fin  de  ce 
chapitre,  qu'il  était  impossible  que  Sigebert  parlât  du  Décret  qui 
n'existait  pas  encore. 


—  71  — 

seul  sur  lequel  on  puisse  faire  fond  et  qui  présente  des  carac- 
tères certains  d'authenticité. 

Au  commencement  du  dix-huitième  siècle,  D.  Gellé  qui 
voulait  donner  une  nouvelle  édition  des  œuvres  d'Yves  de 
Chartres  écrit  à  tous  ses  confrères  de  France  les  Bénédictins 
pour  obtenir  des  documents  sur  les  ouvrages  de  notre  pré- 
lat (1);  et  après  avoir  fait  lui-même  de  très  longues  re- 
cherches, il  se  plaint  de  la  rareté  des  manuscrits  ckJks  77îss. 
codices  rariores  siait  (2).  En  effet,  D.  Gellé  n'en  cite  que 
quatre  :  celui  de  saint  Victor  dont  il  s'est  servi  et  que  le 
P.  Fronteau  a  suivi  dans  son  édition  de  16Z|7,  deux  à  la 
Bibliothèque  royale  et  un  à  la  BibUothèque  Colbert. 

Et  d'abord,  ce  fameux  manuscrit  de  saint  Victor  si  vanté 
par  Baluze  (3)  et  qui  paraît  avoir  servi  de  type  aux  éditeurs 
du  Décret  ne  porte  en  tète  ni  le  nom  d'Yves,  ni  même  le  Pro- 
logue; seulement,  à  la  lin  du  manuscrit,  une  main  plus  ré- 
cente a  ajouté  ces  mots  :  (c  Liber  canomim  suprascriptus 
«  décréta  loviniani  quem  composuit  Ivo  quondàm  Carno- 
«  tensis  Episcopus  et  continet  XVII partis  principales  {h).  » 

Il  est  presque  inutile  de  faire  remarquer  que  cette  indica- 
tion, postérieure  peut-être  de  plusieurs  siècles  au  temps  de 
notre  évêque,  n'a  aucune  force  et  n'est  d'aucune  valeur  dans 
la  question  qui  nous  occupe. 

Les  frères  Ballerini  parlent  dans  leur  dissertation  sur  le 
Décret  d'un  manuscrit  qu'ils  nomment  Vaticanus  et  qui  con- 
tient tout  l'ouvrage.  Mais  ce  document  ne  prouve  pas  plus 
que  le  précédent,  encore  moins  peut-être  :  il  ne  contient  ni 
nom,  ni  titre,  ni  prologue,  il  porte  sknplement  ces  mots  : 
«  Incipit  Liber  extractiorum  sive  excerptarum  ecclesiasti- 
«  carum  reruin partiin  ex  epistolis  Romanorum  jjontificum 
«  partira  ex  gestis  conciliorum^  catholicoriim  regum  et  con- 


(1)  Leurs  réponses  sont  en  tête   du  mss.  12317.  Biblioth.   nat., 
nouY.  fonds  lat. 
(î)  Ihid.,  fol.  38,  vo. 

|3)  Baluze,  In  prœfatione  ad  Augustini  Dialogos.  N"  2  ! . 
|4)  Ibid. 


—  72  — 

«  tinet  XVII  partes  (1).  »  Évidemment,  c'est  bien  un  ma- 
nuscrit du  Décret,  mais  rien,  absolument  rien  n'indique 
qu'Yves  en  soit  l'auteur  :  c'est  un  ouvrage  anonyme  comme 
le  précédent. 

Tlieiner  parle  également  d'un  manuscrit  qu'il  a  examiné  à 
Londres  et  à  Vienne  et  qui  contient  le  Décret  et  ses  dix-sept 
parties  (2),  Mais  en  aucun  endroit  du  manuscrit,  l'ouvrage 
n'est  attribué  à  Yves  de  Chartres  ;  on  y  trouve,  il  est  vrai,  le 
Prologue  de  notre  évêque  ;  mais  il  y  est  inséré  de  façon  à  faire 
croire  que  ce  n'est  qu'une  pièce  rapportée,  placée  avant  le 
corps  de  Touvrage  qui  semble  appartenir  à  un  autre  auteur. 
Voici  le  commencement  de  ce  manuscrit  :  «  Incipit  Prologiis 
((  D.  Ivonis  Carnotensis  Episcopi  ante  collectionem  eccle- 
«  siasticarum  regularnm  de  convenientiâ  et  dispensatione 
((  eantmdem  (3).  » 

Ce  mot  antè  ne  semble-t-il  pas  indiquer  que  ce  prologue 
n'est  qu'une  pièce  de  rapport  insérée  en  tête  de  la  collection 
et  qui  ne  fait  pas  corps  avec  elle?  si  l'auteur  du  Prologue  et 
au  Recueil  e.\xi  été  le  même,  pourquoi  ce  mot  antè?  On  l'au- 
rait mis  simplement  en  tête  de  l'ouvrage,  comme  on  l'a  fait 
pour  la  Panormie,  Le  nom  d'Yves  ne  figure  ni  à  la  fin  de 
chaque  partie  comme  on  le  voit  souvent  dans  les  manuscrits, 
ni  même,  ce  qui  est  plus  étonnant,  à  la  fin  de  l'ouvrage  :  ce 
que  ne  manquaient  jamais  de  faire  les  copistes  parvenus  au 
bout  de  leur  travail. 

L'absence  de  ces  indications  si  ordinaires  dans  les  manus- 
crits est  une  preuve  que  le  Décret  est  anonyme  et  n'appar- 
tient pas  à  l'évêque  de  Chartres. 

Enfin,  nous  arrivons  au  manuscrit  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale (n°  387/i)  que  nous  avons  étudié  avec  soin  et  dont  il  est 
nécessaire  de  donner  ici  une  courte  description  :  C'est  le  plus 
complet  (Ix).   Ce  manuscrit  (douzième   siècle)  parfaitement 

(1)  Ballerini,  op.  cit.,  c.  xvi. 

(2)  Theiner,  ouvrage  cité,  p.  40. 

(3)  Ibid. 

(4)  Bibiioth.  uat.,  anc.  fonds  lat.  N"  3874. 


--  73  — 

conservé  contient  deux  cent  quarante  huit  feuillets,  il  pro- 
vient de  la  Bibliothèque  Colbert  (n"  935),  Il  a  pour  titre  : 
Panormia  Ivonis  carnot.  Episc.  collecta  ex  libris  authen- 
ticis  Decretorum,  canonum^  Legum  romanarum  de  libns 
orthodoxis  Patriim.  Puis,  commence  le  Prologue  ordinaire, 
suivi  de  l'ouvrage  entier  ;  la  dix-septième  partie  quoique  an- 
noncée dans  le  sommaire  (fol.  h)  manque  complètement;  aussi 
une  main  plus  récente  a  ajouté  à  la  suite  de  la  seizième 
partie  :  Deest  septima  décima  pars  intégra. 

Ici  encore  nous  avons  le  droit  de  nous  demander  :  que 
prouve  ce  manuscrit  en  faveur  de  la  paternité  d'Yves  de 
Chartres?  Rien  absolument;  son  titre  même  est  une  arme 
pour  nous,  il  prouve  une  chose  :  c'est  qu'on  ne  connaissait 
d'ouvrage  de  droit  canon  de  l'Évêque  de  Chartres  que  la 
Panormie.  Le  copiste,  voyant  le  Prologue  bien  connu  et 
constatant  dans  le  reste  de  l'ouvrage  qu'on  y  traitait  du 
droit  canon,  n'a  pas  soupçonné  qu'il  put  exister  un  autre 
ouvrage  d'Yves  que  la  Panormie.,  et  alors  il  a  jugé  qu'il 
n'y  avait  rien  de  mieux  à  faire  que  de  mettre  le  mot  en  titre 
en  le  faisant  suivre  des  premières  lignes  du  Prologue.  Encore 
une  fois,  si  dans  ce  temps-là  (et  c'était  au  douzième  siècle) , 
Yves  eut  été  connu  comme  l'auteur  du  Décret,  le  copiste 
n'aurait  certainement  pas  remplacé  ce  mot  par  celui  de  Panor- 
mie. S'il  eut  été  public  qu'Yves  était  l'auteur  de  deux 
ouvrages  snr  le  droit  canon,  le  simple  bon  sens  indique  que 
le  copiste  eut  cherché  à  savoir  lequel  des  deux  il  avait  entre 
les  mains;  mais,  on  le  devine,  il  ne  s'est  même  pas  donné 
cette  peine,  et  pourquoi?  Parce  que  lui,  et  comme  tous  ses 
contemporains  ne  connaissaient  d'Yves  qu'un  seul  ouvrage 
de  droit  canon  :  c'était  la  Panormie  et  son  Prologue. 

Il  est  donc  facile  de  voir  qu'aucun  des  manuscrits  du 
De'cret  ne  prouve  d'une  manière  certaine  qu'Yves  en  soit 
l'auteur,  et  que  les  preuves  solides  qui  nous  ont  servi  pour 
établir  l'authenticité  de  la  Panormie  nous  font  ici  complè- 
tement défaut. 

Il  ressort  clairement  de  ce  que  nous  venons  d'exposer  que 


—  74  — 

dans  la  plupart  des  cas,  le  Décret  n'a  été  attribué  à  Yves  de 
Chartres  que  parce  qu'il  était  précédé  du  Prologue.  Or,  nous 
tirons  précisément  de  ce  fait  une  preuve  de  plus  en  faveur  de 
notre  sentiment. 

En  effet,  en  examinant  de  près  les  choses,  on  est  vite 
convaincu  que  ce  prologue  a  été  accollé  au  Décret  comme  à 
beaucoup  d'autres  ouvrages  qui  certainement  ne  sont  pas 
d'Yves  de  Chartres.  On  trouvait  que  ce  prologue  contenait 
d'excellentes  vues,  de  sages  réflexions  sur  les  règles  du  droit 
canon,  alors  quiconque  s'occupait  d'une  matière  analogue 
s'empressait  de  la  mettre  à  la  tête  de  son  œuvre  pour  lui 
donner  plus  de  prix  et  de  relief. 

C'est  ainsi  que  l'auteur  de  la  Panormie  en  dix  Livres 
commence  son  ouvrage  par  le  prologue  d'Yves,  «  afin,  dit-il 
«  lui-même,  que  cette  préface  soit  comme  la  porte  et  le 
«  guide  du  sanctuaire  et  qu'à  sa  lumière  on  puisse  en  péné  - 
«  trer  les  secrets  (1).  » 

De  même,  Haimon  de  Bazoches,  quelques  années  après 
la  mort  d'Yves  (1154),  attribuait  la  Panormie  en  dix  Livres 
à  l'évêque  de  Chartres,  uniquement  parce  qu'il  la  voyait 
précédée  du  Prologue  :  on  ne  regardait  pas  plus  loin. 

D'un  autre  côté,  il  nous  paraît  inexplicable  qu'Yves  de 
Chartres  ait  composé  le  Décret  et  qu'il  n'y  ait  pas  mis  de 
préface.  Quoi?  un  auteur  qui  nous  donne  pour  un  ouvrage 
a,ssez  restreint  un  prologue  de  sept  feuillets  (12  col.  éd.  Migne) 
n'aurait  même  pas  consacré  quelques  lignes  de  préface  à 
son  second  ouvrage  dont  les  proportions  sont  au  moins  trois 
ou  quatre  fois  plus  considérables?  Non,  cela  n'est  pas  possible  : 
si  notre  évêque  était  l'auteur  du  Décret,  on  aurait  certai- 
nement trouvé  quelque  prologue  ou  sujet  de  prologue  parti- 
culier à  cet  ouvrage. 

Dira-t-on,  avec  les  auteurs  de  V Histoire  Littéraire  et  avec 
ceux  qui  soutiennent  que  le  Décret  n'est  qu'une  amplification 
de  la   Panormie  faite   par  le   même   auteur,  qu'Yves  de 

(1)  Voir  plus  haut,  ch.  I",  p.  50. 


—  16  — 

Chartres  a  mis  en  tête  de  son  second  ouvrage  le  prologue  de 
sa  Panormie  ? 

Mais  cette  deuxième  hypothèse  serait  plus  inexplicable 
encore  que  la  première.  Comment?  Voilà  un  auteur  qui  com- 
pose un  premier  ouvrage,  il  trouve  qu'il  n'est  pas  assez  com- 
plet, qu'il  a  besoin  de  nouveaux  développements,  il  en  rédige 
un  autre  plus  étendu,  plus  étudié;  et  alors  que  fait-il?  Il  repro- 
duit le  long  prologue  destiné  à  son  premier  ouvrage  et  il  ne 
dit  pas  un  mot  du  second,  pas  un  mot  pour  avertir  le  lecteur 
qu'il  a  sous  les  yeux  un  recueil  différent  du  premier,  plus  com- 
plet, plus  étendu  ?  Il  ne  dit  pas  un  mot  de  la  nouvelle  division 
de  l'Ouvrage  qui  au  lieu  de  contenir  huit  parties  en  compte 
maintenant  dix-sept  ;  il  se  contenterait  simplement  de  les  indi- 
quer à  la  suite  du  Prologue  sans  dire  pourquoi  ;  de  sorte  que 
pour  quiconque  commencerait  par  lire  la  préface  du  Décret  ne 
s'imaginerait  pas  un  seul  instant  qu'Tves  ait  jamais  écrit  un 
seul  ouvrage  de  droit  canon  antérieur  à  celui  qu^il  a  sous 
les  yeux.  Or,  il  nous  semble  que  ce  serait  le  cas  ou  jamais, 
où  l'auteur  devrait  dire  quelque  chose  de  son  nouveau  tra- 
vail, surtout  qu'il  ne  s'agit  point  ici  d'un  ouvrage  différent, 
mais  d'un  travail  de  refonte,  qui  offre  un  plan  et  des  divisions 
différentes.  Non,  encore  une  fois,  une  telle  hypothèse  ne  peut 
pas  se  soutenir  un  seul  instant. 

Le  Prologue  a  été  fait  uniquement  pour  la  Panormie  et 
nullement  pour  le  Décret.  S'il  est  inséré  dans  quelques 
manuscrits  de  ce  dernier  recueil,  ou  c'est  l'œuvre  du  compi- 
lateur lui-même  qui  est  tout  autre  que  l'évèque  de  Chartres, 
ou,  ce  qui  nous  parait  beaucoup  plus  vraisemblable,  c'est 
l'œuvre  des  copistes. 

Une  autre  preuve  en  faveur  de  notre  thèse ,  ce  sont  les 
abréviateurs  de  la  Panormie. 

Le  premier  que  nous  rencontrons  et  que  nous  avons  déjà 
cité  plus  d'une  fois,  c'est  l'auteur  de  la  Panormie  en  dix 
Livres  qui,  d'après  Theiner,  n'a  pas  vécu  au  delà  de  1130  (1). 

(1)  Theiner,  ouvrage  cité.  p.  3G 


—  76  — 

Remarquons  d'abord  que  cet  auteur  en  parlant  du  Recueil 
d'Yves  de  Chartres  ne  dit  pas  tractatiis,  mais  tractatiim  : 
ce  détail  qui  tient  à  une  lettre  a  son  importance  ;  il  prouve 
que  l'abréviateur  ne  connaissait  d'Yves  qu'un  seul  traité, 
autrement  il  en  eût  parlé,  il  aurait  dit  par  exemple  pourquoi 
il  abrégeait  la  Panormie  au  lieu  de  l'Ouvrage  complet.  Lui 
qui  met  deux  préfaces  en  tête  de  son  Livre  nous  eût  certai- 
nement expliqué  cette  préférence,  c'était  le  moins  qu'il  pût 
faire.  Or,  il  n'en  dit  pas  un  mot,  post  tractatum  D.  Ivo7iis,  et 
rien  de  plus. 

Cette  deuxième  préface  de  l'auteur  de  la  Panormie  en  dix 
Livres  est  une  des  choses  qui  nous  ont  le  plus  frappé  dans 
notre  travail  et  qui  nous  ont  confirmé  davantage  dans  notre 
sentiment.  Quoi?  voilà  un  auteur  qui  veut  rédiger  un  ouvrage 
de  droit  canon  :  il  proclame  «  qu'il  n'y  a  rien  de  mieux  (jue 
«  le  traité  d'Yves  de  Chartres,  »  que  c'est  pour  cela  qu'il  va 
en  faire  l'abrégé,  qu'il  va  le  suivre  en  tout  point,  qu'il  va 
le  prendre  pour  guide,  etc.,  et  puis  ce  même  auteur  qui 
recherche  ce  qu'il  y  a  de  mieux  ne  dit  pas  un  mot  du  Décret  : 
s'il  lui  paraît  meilleur  ou  moins  bon  que  la  Panormie^  pour- 
quoi il  préfère  suivre  cette  dernière,  etc.  —  Non,  cela  ne 
s'explique  pas,  ou  plutôt  cela  s'explique  facilement,  c'est  que 
le  Décret  n'existait  pas  encore,  ou  ce  qui  est  plus  probable, 
on  ne  l'avait  pas  encore  attribué  à  l'évêque  de  Chartres. 

Nous  pourrions  également  nous  demander  pourquoi  Hugues 
de  Châlons,  pourquoi  Haimon  de  Bazoches  ont  plutôt  abrégé 
la.  Pa7îor?nie  que.le  Déo^et,  pourquoi  ce  dernier  en  particu- 
lier qui  fait  précéder  son  abrégé  d'une  assez  longue  préface 
ne  dit  pas  un  mot  du  Décret;  et  nous  arriverions  à  la  même 
conclusion. 

On  nous  objectera  peut-être  le  pluriel  qu'Yves  emploie  en  par- 
lant de  son  Livre  de  droit  canon  ((  CoUectiones  canomim  »  (1)'. 
—  Nous  répondrons  par  le  langage  d'Yves  lui-même,  dans  un 
sujet  tout  à  fait  analogue.  On  sait  qu'il  n'a  jamais  existé 

(1)  Ivon.  Epist.  269  ad  Pont.  Abbat. 


—  77  — 

qu'une  seule  collection  des  canons  de  Burchard  de  Worms, 
et  cependant  l'Evêque  de  Chartres  écrit  en  parlant  de  cet 
ouvrage  :  «  In  collectionibiis  autem  Burchardi  Worma- 
tens.  (1)  »  Le  pluriel  employé  par  notre  Prélat  dans  sa  réponse 
l'abbé  de  Cluny  ne  tiie  donc  pas  à  conséquence. 

Enfin,  nous  arrivons  à  notre  dernier  et  décisif  argument  : 
Nous  voulons  parler  de  certaines  citations  que  contient  le 
Décret  et  qui  n'ont  pu  y  être  insérées  qu'après  la  mort  d'Yves 
de  Chartres,  en  raison  de  la  date  à  laquelle  elles  appartien- 
nent. Remarquons  qu'il  ne  s'agit  point  ici  de  certaines  addi- 
tions comme  on  en  trouve  dans  quelques  manuscrits  de  la 
Panormie^  de  quelques  textes  inscrits  ad  calcem  opej^is  mais 
bien  de  citations  régulières  qui  sont  entrées  dans  la  trame  de 
l'œuvre  et  font  corps  avec  elle,  et  qui  par  conséquent  n'ont 
pu  être  ajoutées,  après  coup,  par  une  main  étrangère.  On 
comprend  qu'il  suffirait  d'une  seule  de  ces  citations  de  date 
bien  certaine,  bien  établie,  pour  démontrer  d'une  façon 
péremptoire  que  la  composition  du  Décret  est  postérieure  à 
Yves,  puisqu'il  contient  des  documents  qui  n'ont  pu  y  être 
insérés  qu'après  sa  mort. 

Or,  en  étudiant  les  titres  et  chapitres  du  Décret^  nos 
yeux  ont  été  frappés  de  certaines  citations  d'un  Concile  de 
Beauvais,  auquel  assistait  le  roi  Louis-le-Gros  (2).  Notre  pre- 
mière préoccupation  a  été  de  chercher  la  date  précise  de  cette 
assemblée  :  le  Concile  s'était  tenu  à  Beauvais  au  mois  de 
décembre  111/i,  sous  la  présidence  du  légat  Conon  et  en  pré- 
sence du  roi  Louis  VI  (3).  Cette  date  de  décembre  Mih  nous 
donna  à  réfléchir  :  c'était  un  an  à  peine  avant  la  mort  de  notre 
saint  Prélat,  et  nous  ne  voyons  dans  aucune  de  ses  lettres 
qu'il  ait  assisté  à  ce  Concile.  Quand  même  Yves  y  aurait 
assisté,  il  faudrait  supposer  qu'il  n'a  composé  le  Décret  que 

(1)  Ivon.  Epist.  80. 

(2)  Décret,  pars  III  a,  c.  ccxxvii,  ccxxviii,  ccxxix,  ccxxx.  Ex  conc. 
Belvacens.  prsesente  Ludovico. 

(3)  Voir  P.  Labbe,  Recueil  général  des  Conc,  t.  X,  p.  797  où  on  peut 
lire  les  quatre  canons  cités  par  l'auteur  du  Décret. 


78  — 


quelques  mois  avant  de  mourir  :  ce  qui  n'est  pas  admissible. 
D'abord,  il  ne  nous  en  dit  rien  ;  cependant  déjà  deux  ans 
auparavant,  il  se  plaint  qu'il  est  malade,  qu'il  a  des  infirmités, 
et  certes  s'il  eût  eu  à  terminer  un  ouvrage  comme  le  Décret^ 
il  n'eût  pas  manqué  de  le  dire.  On  sait  quelles  relations 
intimes  et  fréquentes  il  entretenait  avec  Hildebert  du  Mans  et 
surtout  avec  Geoffroy  de  Vendôme  qui  avait  avec  lui  une  cor- 
respondance très  suivie  :  Il  leur  eût  certainement  parlé  de  son 
Ouvrage  ;  il  entre  avec  eux  dans  des  détails  beaucoup  moins 
importants.  Or,  nous  le  répétons,  il  n'est  nullement  question 
de  près  ou  de  loin  de  la  composition  d'un  ouvrage  de  droit 
canon.  Ensuite,  est-il  permis  de  supposer  qu'un  vieil  évêque 
de  soixante-quinze  à  quatre-vingts  ans  (1),  ait  attendu  pour 
composer  une  œuvre  aussi  considérable,  les  derniers  mois  de 
sa  vie?  Non,  évidemment. 

Et  qu'on  ne  dise  pas  qu'il  a  pu  ajouter  ces  canons  (qui  for- 
ment des  chapitres)  aussitôt  après  le  Concile  de  Beauvais. 
Oui,  à  la  rigueur,  cela  serait  possible  si  le  Décret  était  rédigé 
d'après  un  ordre  chronologique  comme  la  Tripartita.  Il  n'y 
aurait  eu  en  effet  qu'à  placer  ces  quatre  canons  à  la  suite  du 
dernier  Concile  cité  ;  mais  ici,  il  s'agit  d'un  ouvrage  composé 
sur  un  plan  tout  différent.  Il  n'était  guère  facile  d'intercaler, 
après  coup,  quatre  ou  cinq  chapitres  au  milieu  des  autres 
chapitres  déjà  rangés  à  leur  place,  dans  le  corps  de  l'ou- 
vi'age  (2). 

De  plus,  il  faudrait  supposer  que  ces  canons  du  Concile  de 
Beauvais  étaient  tombés  dans  le  domaine  public,  quelques 
semaines,  quelques  mois  après  leur  rédaction.  Mais,  on  sait 
que  les  choses,  même  aujourd'hui,  ne  se  passent  point  ainsi; 
à  plus  forte  raison,  en  plein  moyen  âge  :  pour  qu'un  auteur 
du  douzième  siècle  put  citer  dans  son  ouvrage  les  canons 
d'un  Concile,  il  fallait  qu'un  certain  laps  de  temps  se  fut 
écoulé  depuis  la  tenue  de  ce  Concile  ;  les  communications, 


(1)  Yves  de  Chartres  est  ué  certainement  avant  lOiO. 

(2)  Cette  troisième  partie  du  Décret  eu  contieut  284. 


—  79  — 

surtout  entre  des  évêques  de  province  différente,  ne  devaient 
pas  être  si  faciles  (1).    • 

Il  n'est  donc  pas  vraisemblable  que  l'Evêque  de  Chartres 
ait  pu,  dans  l'intervalle  d'une  année  à  peine  qui  sépare  la 
date  du  Concile  de  celle  de  sa  mort,  insérer  de  nouveaux 
documents  dans  un  ouvrage  qui  alors  devait  être  terminé  (2). 

Mais,  nous  avons  mieux  encore  que  ces  quatre  canons  du 
Concile  de  Beauvais.  En  étudiant  les  diverses  parties  du 
Décret,  nous  avons  trouvé  dix  citations  d'un  Concile  de 
Nantes  qui  s'est  tenu  en  octobre  1127,  sous  la  présidence 
d'Hildebert  du  Mans  (3).  La  date  est  certaine,  car  les  docu- 
ments cités  par  le  P.  Labbe  sont  contenus  dans  une  lettre 
qu'Hildebert  adresse  au  pape  Honorius  sur  les  opérations  du 
Concile.  La  première  de  ces  citations  se  trouve  dans  la  troi- 
sième partie  du  Décret  :  c'est  le  chapitre  ccxxn  dans  lequel  il 
est  question  des  sépultures  ;  la  deuxième  et  la  troisième  appar- 
tiennent à  la  sixième  partie.  Ce  sont  les  chapitres  cxcn  et  cxcv  : 
dans  le  premier,  le  Concile  s'occupe  des  femmes  qui  habitent 
les  presbytères;  dans  le  second,  il  s'occupe  de  l'usure  (A). 

Ici,  évidemment,  il  n'y  a  plus  à  discuter,  il  ne  peut  plus 
rester  l'ombre  d'un  doute  :  Le  Décret  contient  en  dix  endroits 
différents,  des  canons  qui  n'ont  été  rédigés  qu'en  1127,  c'est- 
à-dire  plus  de  onze  ou  douze  ans  après  la  mort  d'Yves  de 
Chartres  ;  donc  notre  Évêque  n'en  peut  être  l'auteur  (5). 

Aussi,  est-il  bien  plus  simple  et  plus  naturel  d'admettre 

(1)  On  sait  que  Beauvais  faisait  partie,  comme  aujourd'hui  encore, 
de  la  province  de  Reims  et  que  Chartres  relevait  de  la  métropole 
de  Sens. 

(î)  La  troisième  partie  du  D(kret  qui  contient  ces  quatre  canons, 
se  trouve  dans  le  premier  quart  du  Recueil  (3"  partie). 

(3)  Labbe,  Conciles,  t.  X,  col.  918-919. 

(4)  Pour  les  autres  canons  voir  pars  III,  c.  ccxxii,  cciv;  — pars  YI, 
c.  XXI,  cLii,  cLxxxi;  —  pars  X,  c.  cxli,  cxlv. 

(5)  Nous  sommes  étonné  que  Theiner  n'ait  point  parlé  de  ces  deux 
conciles,  du  dernier  surtout  :  les  dates  sans  doute  ne  l'auront  point 
frappé;  mais,  avouons-le,  Theiner  a  une  bonne  excuse  :  C'est  que 
les  dates  de  ces  deux  conciles  ne  se  trouvent  indiquées  nulle  part 
dans  le  Décret,  il  faut  les  connaître  d'avance. 


-  80  — 

l'explication  que  nous  avons  déjà  insinuée  :  c'est-à-dire  que 
le  Décret  a  été  rédigé,  plusieurs  années  après  la  mort  d'Yves 
de  Chartres,  par  un  auteur  dont  le  nom  n'est  point  parvenu 
jusqu'à  nous  et  qui  est  même  resté  inconnu  de  ses  contempo- 
rains. Plus  tard  (1),  un  copiste  ayant  trouvé  ce  manuscrit 
sans  nom  d'auteur  et  voyant  qu'il  traitait  de  matières  de  droit 
canon  s'empressa,  en  le  transcrivant,  d'insérer  en  tête  du 
recueil,  le  Prologue  bien  connu  d'Yves  de  Chartres;  et  ainsi, 
il  fut  cause  que  trois  ou  quatre  siècles  après,  on  ne  soupçonna 
pas  qu'un  autre  que  l'Évêque  de  Chartres  en  pût  être  l'au- 
teur (2). 

Telle  nous  paraît  être  la  conclusion  logique  de  la  longue 
discussion  que  nous  avons  essayé  d'établir  au  sujet  de  l'au- 
thenticité du  Décret  :  non  seulement  rien  ne  prouve  que  notre 
Evêque  de  Chartres  en  soit  l'auteur,  mais,  on  vient  de  le  voir, 
nous  avons  les  raisons  les  plus  sérieuses  et  les  plus  décisives 
pour  lui  en  refuser  la  paternité. 

(1)  Nous  avons  vu,  en  etïet,  que  l'auteur  de  la  Panormie  en  dix 
livres  (1130)  et  Haimon  de  Bazoches  (1154)  ne  connaissaient  nulle- 
ment le  Décret. 

(2)  Voir  les  deux  éditions  du  Décret  :  celle  de  Louvain,  par  Du- 
moulin en  1561,  et  celle  de  Paris  (1647),  par  le  P.  Fronteau. 


CHAPITRE  V 


METHODE  ET  COMPOSITION 


Pour  justifier  le  titre  de  notre  travail  et  être  complet,  il  est 
nécessaire  de  parler  ici  de  la  méthode  et  de  la  composition 
des  recueils  qui  ont  fait  l'objet  de  notre  dissertation. 

Nous  l'avons  dit  déjà  :  il  ne  faut  pas  s'attendre  à  trouver 
dans  ces  sortes  d'ouvrages  des  oeuvres  littéraires  où  l'esprit  et 
le  génie  d'un  auteur  se  font  jour;  où  une  méthode  nouvelle 
appliquée  à  un  sujet  déjà  ancien  et  bien  connu  le  rajeunit  et 
en  quelque  sorte  le  transforme  ;  il  ne  s'agit  point  ici  de  ces 
œuvres  où  l'auteur  s' emparant  d'un  certain  nombre  d'idées 
qui  font  partie  du  domaine  commun  de  FHistoire  ou  de  la 
Philosophie  les  combine,  les  enchaîne  entre  elles  et  donne  au 
monde  un  ouvrage  nouveau.  Non,  il  ne  faut  pas  l'oulDlier, 
nous  sommes  ici  en  présence  de  compilations,  d'encyclopé- 
dies avant  tout  pratiques,  et  on  aurait  tort  d'y  chercher  autre 
chose. 

Il  ne  faut  point  voir,  non  plus,  dans  ces  sortes  de  recueils 
des  traités  de  théologie  ou  de  droit  canon  bien  ordonnés,  bien 
divisés,  où  tous  les  détails,  tous  les  arguments  apportés  en 
faveur  d'une  proposition  générale,  d'une  pensée-mère  sont 
tellement  liés  et  combinés  entre  eux,  qu'il  y  ait  comme  une 
marche  et  une  progression  visible  vers  la  conclusion  à  laquelle 
on  veut  arriver.  Il  n'y  faut  pas  chercher  de  ces  grandes  et 


—  82  — 

larges  divisions  sur  un  sujet  comme  nous  en  rencontrerons 
plus  tard  dans  la  Somme  de  saint  Thomas  d'Aquin  et  dans  nos 
théologiens  modernes;  non,  au  moyen  âge,  au  onzième  siècle, 
on  n'avait  pas  l'idée  d'un  pareil  travail  :  les  esprits  même  les 
plus  distingués,  si  on  en  excepte  saint  Anselme  et  saint 
Bernard,  n'étaient  guère  capables  de  s'élever  à  une  pareille 
hauteur. 

D'ailleurs,  à  cette  époque  du  moyen  âge,  on  ne  cherche 
guère,  en  général,  à  innover  dans  aucun  genre  de  littérature. 
Ainsi,  on  fait  beaucoup  de  poésies  (et  même  beaucoup  trop) 
mais  la  plupart  ne  sont  que  des  pastiches  de  l'antiquité  grecque 
ou  latine  :  après  bien  des  efforts,  les  prétendus  poètes  n'arri- 
vent le  plus  souvent  qu'à  parodier  ou  à  défigurer  les  œuvres 
sublimes  d'Homère  ou  de  Virgile  (1). 

On  composait  aussi  des  pièces  de  théâtre,  mais  on  ne  faisait 
que  reproduire  servilement  ou  quelquefois  combiner  ensemble 
les  deux  grands  comiques  latins  :  Plante  et  Térence  (2).  On 
faisait  même  des  arts  poétiques  pour  enseigner  la  manière  de 
composer  ces  étranges  vers,  mais  ici  encore,  on  n'a  que  des 
pastiches,  des  imitations  serviles  (3). 

La  plupart  des  auteurs  cherchent  avant  tout  à  beaucoup 
savoir,  à  beaucoup  connaître  plutôt  qu'à  créer  eux-mêmes  et 
à  produire  quelque  chose  de  nouveau  :  il  semble  que  personne 
n'ait  l'idée  d'un  travail  personnel,  original;  il  y  a  bien  quel- 
ques chercheurs  en  philosophie  et  en  théologie  comme  Ros- 
celin,  saint  Anselme  et  plus  tard  Abélard;  mais,  en  général, 
on  préfère  copier,  commenter  surtout,  soit  les  premiers  Pères 
de  l'Eglise,  soit  même  les  auteurs  profanes.  Voilà  pourquoi, 
il  est  si  difficile  de  bien  démêler  dans  ces  auteurs  ce  qui  leur 
est  propre  de  ce  qu'ils  ont  emprunté  à  leurs  devanciers. 

Enfin,  une  remarque  qui  s'applique  surtout  aux  recueils 


(1)  Voir  lo  Potlme  iV Adcdberon  sur  les  Normands.  —  La  Philippide 
de  Guillaume  le  Breton.  C.  Gidel,  Thèse  lat.  Sorb.,  1856. 

(2)  Œuvres  de  Guillaume  de  Chartres. 

(3)  Ars  •versificatoria  de  Mathieu  de  Vendôme,  L.  Bourgain.  Thèse 
lat.  Sorb.,  1879,  in-8°. 


—  83  — 

dont  nous  parlons,  et  qui  doit  rendre  la  critique  moins  sévère, 
c'est  qu'au  moyen  âge,  on  n'écrivait  pas  pour  faire  un  livre 
ou  un  traité,  on  écrivait  par  nécessité,  par  besoin,  pour 
répondre  à  un  adversaire,  pour  le  réfuter,  le  ramener  à  l'or- 
thodoxie, ou  pour  venger  la  foi  ou  la  morale  menacée  (1).  Les 
auteurs  ne  cherchaient  donc  pas  à  se  faire  un  nom,  un  répu- 
tation d'écrivain;  ils  envisageaient  avant  tout  l'utilité  des  prê- 
tres, des  fidèles,  ce  sont  eux-mêmes  qui  nous  le  disent  (2). 

Yves  de  Chartres  surtout  s'en  explique  franchement  dans 
son  Prologue  :  «  J'ai  cherché,  dit-il,  et  j'ai  rassemblé  tous  les 
«  extraits  des  canons  et  des  règles  ecclésiastiques  en  un  seul 
«  livre,  afin  que  ceux  qui  ne  peuvent  se  procurer  tous  les 
«  ouvrages  dont  je  les  ai  tirés,  puissent  néanmoins  trouver  et 
«  avoir  sous  la  main  ce  qui  fait  l'objet  de  leurs  recherches  ». 

Aussi,  est-ce  à  ce  but  d'utiUté  pratique  et  non  à  l'incapa- 
cité de  l'auteur  qu'il  faut  attribuer  ce  singulier  mélange  de 
dogme  et  de  morale,  de  discipline  et  de  prescriptions  cérémo- 
nielles,  de  décisions  de  conciles  et  de  décrets  pontificaux, 
de  lois  romaines  et  de  lois  chrétiennes  dont  est  rempli  chacun 
des  recueils  dont  nous  avons  à  apprécier  ici  la  méthode  et  la 
composition.  Ils  forment,  en  effet,  chacun  comme  une  ency- 
clopédie générale  de  tout  ce  qui  a  été  fait  ou  écrit  dans 
l'Église,  depuis  les  premiers  siècles  chrétiens  jusqu'à  celui  où 
a  vécu  leur  auteur.  Il  y  a  de  tout  dans  ces  compilations,  c'est 
comme  un  résumé  de  la  science  universelle  du  temps  :  textes 
nombreux  de  l'Ecriture-Sainte,  extraits  variés  des  SS.  Pères, 
énoncés  de  dogme,  préceptes  de  morale,  décisions  pratiques 
de  casuistique,  lois  ecclésiastiques,  lois  civiles  et  sociales  des 
siècles  antérieurs,  lois  romaines,  etc.;  rien  de  ce  qui  peut 
guider  le  clerc,  le  moine  et  le  laïque  n'y  est  oublié  :  c'est  un 
manuel,  un  enchiridion  qui  peut  servir  pour  les  cas  les  plus 
divers  et  les  circonstances  les  plus  variées. 

(1)  Voir  Traité  de  l'Eucharistie  de  Lanfranc,  contre  l'hérésie  de  Bé- 
renger. 

(2)  Yoir  la  Préface  d'Hainion  de  Bazoches,  celle  de  l'auteur  de  la 
Panormie  en  dix  livres,  le  Prologue  d'Yves. 

5 


—  84  — 

De  là,  il  est  facile  de  deviner  que  l'ordre  et  la  méthode,  au 
milieu  de  cette  diversité,  ont  dû  subir  quelque  atteinte  :  l'au- 
teur, évidemment,  a  dû  être  gêné  par  l'abondance  de  matières 
si  diverses  et  parfois  si  disparates.  Il  était  souvent  difficile  de 
savoir  précisément  sous  quel  titre  et  sous  quelle  rubrique  il 
fallait  placer  tel  ou  tel  canon  d'un  concile,  telle  ou  telle 
lettre  d'un  pape,  telle  ou  telle  loi  romaine,  etc. 

Pour  la  collection  Tripartita^  la  composition  offrait  moins 
de  difficultés,  et  la  méthode  était  plus  facilement  applicable, 
du  moins  pour  les  deux  premières  parties.  11  suffisait  d'insérer 
dans  leur  ordre  chronologique  les  décrétales  des  Pontifes 
romains  et  les  décisions  des  différents  conciles  :  c'était  une 
espèce  de  livre  d'enregistrement  où  les  indications  chronolo- 
giques servaient  de  guide  et  de  méthode.  La  troisième  partie 
n'était  pas  aussi  facile  ;  mais  nous  avons  vu  que  le  rédacteur 
de  la  Tripartita  n'avait  guère  fait  que  copier  la  collection  de 
Burchard  de  Worms  (1). 

Ce  n'est  donc  point  par  cet  ouvrage  (qu'Yves  en  soit  ou  non 
l'auteur)  que  nous  pouvons  apprécier  la  méthode  et  la  marche 
qui  présidaient  à  la  composition  de  ces  recueils  du  onzième 
siècle.  Le  mieux  pour  nous  est  de  nous  reporter  aux  collec- 
tions antérieures,  de  les  comparer  aux  nôtres  et  de  voir  s'il  y 
a  un  progrès  appréciable.  C'est,  il  nous  semble,  la  meilleure 
manière  déjuger  un  auteur;  et  c'est  le  grand  tort,  disons-le 
en  passant,  de  certains  critiques  en  matière  littéraire  ou  his- 
torique, d'apprécier  les  hommes  et  les  choses  d'après  un  idéal 
que  le  temps  et  le  progrès  du  goût  leur  ont  fourni,  et  non 
d'après  le  temps  et  les  circonstances  où  ont  vécu  leiu's  au- 
teurs. 

Disons  d'abord  que  ni  l'Évêque  de  Chartres,  ni  l'auteur  du 
Décret^  quel  qu'il  soit,  ni  même  Gratien  dont  l'autorité  et  la 
réputation  sont  incontestables,  n'ont  travaillé  sur  des  docu- 
ments originaux.  C'est  le  sort  de  tous  les  auteurs,  soit  an- 
ciens, soit  modernes,  qui  entreprennent  de  pareils  travaux  : 

(1)  Voir  plus  haut,  chap.  ni. 


—  85     - 

ils  ne  peuvent  guère  avoir  que  le  seul  mérite  d'y  mettre  de 
l'ordre  et  une  certaine  disposition. 

Aussi  les  voyons-nous  tous  indistinctement,  Gratien  lui- 
même,  mettre  à  contribution  de  fausses  citations,  des  textes 
fabriqués,  s'appuyer  sur  les  fausses  comme  sur  les  vraies 
décrétales  des  papes  et  citer  avec  autant  d'assurance  l'œuvre 
du  pseudo-Isidore  que  les  véritables  lettres  des  Pontifes 
romains  (1).  Disons  à  leur  décharge,  qu'il  leur  était  bien 
permis  d'ignorer  ce  que  la  critique  moderne  n^a  découvert  que 
plusieurs  siècles  après  eux. 

Nous  n'avons  donc  qu'une  seule  chose  à  chercher  :  voir 
s'ils  ont  mieux  fait  que  leurs  prédécesseurs,  c'est-à-dire  donner 
une  idée  du  mérite  relatif  de  ces  sortes  d'ouvrages. 

Les  auteurs  de  ces  collections  du  onzième  siècle,  on  a  pu 
le  constater  dans  le  courant  de  notre  travail,  copient  tous, 
plus  ou  moins,  l'ancienne  collection  isidorienne,  sur  l'authen- 
ticité de  laquelle,  personne  ne  songeait  à  élever  le  moindre 
doute.  C'est  à  elle  que  beaucoup  d'écrivains,  dans  la  suite, 
ont  emprunté  l'idée  de  leur  livre,  mais  c'est  surtout  dans  les 
matériaux  qu'ils  y  trouvaient  accumulés,  qu'ils  ont  puisé  à 
pleines  mains. 

Néanmoins,  tout  en  mettant  à  profit  cette  mine  précieuse, 
ils  essaient  de  faire  mieux  qu'Isidore.  Ainsi,  déjà  dès  le 
neuvième  siècle,  l'auteur  de  la  collection  dédiée  à  Anselme 
s'empare  de  cette  forêt  de  textes  et  de  documents,  et  les  place 
sous  des  titres  et  des  rubriques  séparés,  selon  l'idée  qu'ils 
expriment  :  aux  Décrétales  des  papes,  il  ajoute  les  textes  des 
saints  Pères,  et  donne  ainsi  un  corps  de  doctrine  complet. 
Burchard  de  Worms  l'imite  et  la  copie  en  partie,  et  c'est  à 
cette  collection  et  à  sa  division,  d'après  l'ordre  des  matières, 
que  l'Évêque  de  Worms  dut  le  succès  de  son  œuvre. 

Yves  de  Gharti'es,  qui  vient  moins  de  cinquante  ans  après, 


(1)  D.  Gellé  a  pris  la  peine  de  relever  les  fausses  indications  con- 
tenues dans  le  Décret  :  elles  y  fourmillent,  on  peut  les  compter  par 
centaines.  Bibl.  nation.,  mss.  12318,  nouv.  fonds  lat. 


—  8b  — 

ne  peut  pas  dédaigner l'œuvie  de Burchard ;  aussi  s'empresse- 
t-il  de  la  mettre  à  profit  dans  l'ouvrage  qu'il  entreprend.  Mais 
l'auteur  de  la  Panormie,  il  faut  le  reconnaître,  y  fait  preuve 
de  plus  d'ordre  et  de  méthode  :  les  matières  y  sont  mieux 
divisées  et  placées  dans  un  ordre  plus  naturel  et  plus  logique; 
les  grandes  divisions,  en  livres  ou  parties  sont,  à  leur  tour, 
partagées  en  assez  nombreuses  subdivisions,  qui  rendent  la 
lecture  de  l'ouvrage  moins  pénible  et  permettent  d'y  trouver 
plus  facilement  la  solution  des  questions  que  l'on  cherche. 

L'Évêque  de  Chartres  a  encore  sur  ses  devanciers  un  autre 
avantage  qu'il  doit,  il  est  vrai,  au  temps  où  il  a  vécu,  mais  qui 
n'en  est  pas  moins  incontestable,  c'est  d'être  plus  complet;  et 
dans  des  recueils  comme  ceux  dont  il  est  ici  question,  c'est  un 
mérite  appréciable.  Ecrivant  au  temps  même  où  l'hérésie  de 
Bérenger  venait  d'être  battue  par  la  plume  du  docte  Lanfranc, 
et  écrasée  par  les  foudres  de  l'Eglise,  Yves  de  Chartres  a  pu 
mettre  à  profit  les  discussions  des  différents  conciles  et  les 
lettres  des  Papes  qui  ont  trait  à  cette  hérésie,  et  être  beau- 
coup plus  complet  que  ses  prédécesseurs  sur  le  sacrement  de 
l'Eucharistie.  Bien  des  textes  des  premiers  Pères  de  l'Église 
qui  jusques-là  étaient  restés  dans  l'oubli  furent  naturellement 
exhumés  de  leur  poussière  et  mis  en  pleine  lumière  ;  en  un 
mot ,  la  question  fut  complètement  renouvelée ,  et  vu  son 
importance ,  elle  fournit  à  notre  évêque  une  matière  plus 
abondante.  Puis ,  ces  discussions  prolongées  pendant  des 
années  soulevaient  bien  d'autres  questions  dont  Yves  de 
Chartres  fait  figurer  les  solutions  dans  les  divers  chapitres  de 
sa  Panonnie. 

Enfin,  le  grand  mérite  d'Yves  de  Chartres  c'est  d'avoir 
donné  de  nombreux  extraits  des  lois  romaines,  d'avoir  intro- 
duit dans  son  ouvrage  de  fréquentes  citations  des  Pandectes, 
du  code,  des  Institutions  et  Novelles  de  Justinien,  dont  il  n'est 
pas  du  tout  question  avant  lui.  Cette  innovation  trouve  encore 
son  explication  en  partie  dans  le  temps  où  vivait  l'auteur  de 
la  Panorniie  :  Ce  qui  toutefois  ne  lui  enlève  pas  son  mérite. 

Plus  on  s'éloignait  de  la  grande  époque  de  Charlemagne, 


—  87  — 

qui  avait  imposé  partout  l'observation  deses(lapitulaires,  plus 
on  revenait  aux  anciennes  lois  romaines  qui  avaient  laissé 
dans  les  Gaules  des  traces  profondes.  D'ailleurs,  le  goût  et 
l'étude  du  droit  civil  se  ranimaient  dans  les  écoles  (1);  l'en- 
seignement de  Lanfranc  qui  de  Bologne  où  il  professait  avec 
distinction,  s'était  fait  moine  à  l'école  du  Bec  a  dû  également 
entrer  pour  quelque  chose  dans  ce  mouvement  ;  et  nous  avons 
expliqué  comment  Yves  de  Chartres,  son  élève,  dans  la  cé- 
lèbre abbaye,  avait  dû  profiter  de  ses  doctes  leçons.  Il  n'est 
donc  pas  étonnant  qu'en  raison  de  ces  circonstances,  nous 
voyions  figurer  dans  son  ouvrage  d'aussi  nombreux  extraits 
des  lois  romaines. 

Néanmoins,  malgré  ces  avantages  qui  méritent  certaine- 
ment d'être  appréciés,  Yves  de  Chartres,  disons-le  franche- 
ment, ne  sort  pas  encore  de  la  catégorie  des  compilateurs  :  il 
fait  suite  à  cette  longue  série  d'hommes  pratiques  qui  ont 
cherché  avant  tout,  à  être  utiles  à  leurs  contemporains  sans 
viser  au  titre  de  penseur  et  d'écrivain.  Ils  s'emparent  des  tra- 
vaux de  leurs  prédécesseurs ,  ils  y  mettent  un  peu  plus 
d'ordre  et  de  netteté,  y  ajoutent  ce  qu'ils  ont  appris  de  nou- 
veau sur  la  matière,  mais  nul  d'entre  eux  ne  se  donne  la  peine 
d'examiner  si  les  textes  qu'il  copie  sont  authentiques,  si  les 
citations  qu'il  trouve  sont  vraies  ou  fausses,  tirées  de  leurs 
auteurs  ou  fabriquées  après  coup  (2),  c'est  le  moindre  de 
leurs  soucis  ;  le  moyen  âge  est  le  temps  par  excellence  de  la 
confiance  illimitée. 

Gratien  dont  l'œuvre  plus  considérable  et  plus  sérieuse 
s'impose  à  l'étude  et  à  l'histoire  du  droit  canon  n'a  pas  su  non 
plus  éviter  cette  faute  ;  mais  il  la  rachète  par  des  qualités 
incontestables  de  savant  et  d'écrivain  qui  ont  manqué  à  ses 
prédécesseurs.  Le  brillant  professeur  de  l'Université  de  Bo- 
logne n'est  plus  seulement  un  compilateur  comme  Burchard 


(1)  Histoire  littéraire,  t.  Wl,  p.  150-152. 

(2)  Voir  le  curieux  travail  de  correction,  par  D.  Gellé,  cilé  plus 
haut  p.  85  (note  1). 


—  88  — 

ou  Yves  de  Chartres,  c'est  un  écrivain  dans  toute  la  réalité 
du  mot,  c'est  un  argumentateur  :  on  sent  que  la  nouvelle 
scholastique  qui  vient  à  peine  de  naître  (1150)  a  déjà  fait  im- 
pression dans  son  esprit.  Il  ne  se  contente  pas,  comme  ses 
devanciers,  d'affirmer,  d'apporter  des  textes,  il  les  discute,  il 
les  commente.  Ses  prédécesseurs  faisaient  simplement  des 
préfaces,  annonçant  ce  qu'ils  allaient  exposer,  mais  ne  discu- 
tant jamais  sur  l'origine,  la  valeur  et  l'autorité  des  documents 
qu'ils  inséraient  dans  leurs  ouvrages.  Gratien  lui  fait  des  dis- 
sertations (1),  il  reprend  pour  son  compte  les  questions  con- 
troversées avant  lui,  il  discute,  et  ses  gloses  sont  toujours  en 
rapport  avec  les  décrets  ou  les  canons  qu'il  cite  ;  il  formule 
des  principes  généraux  et  il  en  fait  scientifiquement  la 
preuve  :  ce  sont  comme  les  pièces  justificatives  de  son  Décret. 
En  un  mot,  Gratien  est  à  la  fois  un  écrivain  et  un  savant.  Il  a 
trouvé  comme  ses  devanciers,  de  nombreux  canons  de  con- 
ciles, de  nombreuses  décisions  des  papes,  il  a  voulu  à  leur 
exemple,  en  faire  un  code  unique  ;  mais  en  penseur  et  en  vrai 
savant  il  a  su  ramener  tous  ces  textes  à  l'unité  «  Ut  auctori- 
tatum  discordantia  ad  concordiam  revocetur,  »  comme  il 
le  dit  lui-même  (2). 

Ce  serait  un  tort,  selon  nous,  de  chercher  une  telle  perfec- 
tion dans  Yves  de  Chartres  :  notre  auteur  n'en  a  pas  même  eu 
l'idée  ;  ne  lui  en  faisons  pas  un  crime,  tenons-lui  compte  de 
la  supériorité  relative  dont  il  a  fait  preuve  à  Tégard  de  ceux 
qui  l'ont  précédé  dans  cette  voie;  il  a  fait  mieux  qu'eux,  il  est 
en  progrès,  ne  lui  en  demandons  pas  davantage. 

Bien  que,  d'après  notre  sentiment,  le  Décret  ne  soit  pas 
l'œuvre  d'Yves  de  Chartres,  néanmoins  comme  il  occupe  une 
large  place  dans  notre  thèse,  et  comme  il  est  connu  dans  le 
public  depuis  plusieurs  siècles,  nous  ne  pouvons  pns  nous 
dispenser  de  parler  ici  de  la  composition  de  cet  ouvrage.  Et 

(1)  C'est  ce  qu'on  désigne  dans  son  Recueil  par  ces  mots  :  Dicta 
Gratiani. 

(2)  Voila  pourquoi,  Gratien  avait  intitulé  son  ouvrage  ;  Concor- 
dantia  discordanlium  canonum. 


—  89  — 

nous  le  faisons  d'autant  plus  volontiers,  que  le  défaut  de 
méthode  et  de  composition  de  ce  recueil,  est  aux  yeux  du 
savant  Theiner  un  argument  décisif  contre  l'authenticité  qu'on 
lui  a  accordée  jusqu'ici  :  conclusion  exagérée,  selon  nous, 
mais  qui  ne  manque  pas  pourtant  d'un  certain  fondement. 

En  effet,  loin  de  présenter  dans  son  ensemble  cette  clarté 
et  cette  netteté  que  nous  rencontrons  dans  la  Panormie^  le 
Décret  semble  revenir  à  la  confusion  et  à  l'amoncellement  de 
matériaux  qui  distinguent  les  collections  antérieures.  Les 
grandes  divisions,  il  est  vrai,  sont  plus  nombreuses  que  dans 
la  Panormie  (dix-sept  parties  au  lieu  de  huit)  ;  mais  les 
textes  placés  sous  chacune  d'elles  sont  aussi  beaucoup  plus 
nombreux  :  il  y  a  certaines  parties  qui  contiennent  jusqu'à 
trois  cent  soixante  dix-huit  et  même  quatre  cent  trente-cinq 
chapitres.  On  comprend,  a  priori^  qu'il  soit  difficile  d'établir 
un  ordre  parfait  dans  une  pareille  nomenclature  de  docu- 
ments :  le  lecteur  se  retrouve  bien  plus  difficilement  dans  le 
Décret  que  dans  la  Panormie^  il  se  voit  souvent  forcé  de  se 
demander  ce  que  prouve  tel  ou  tel  document,  à  quel  sujet  il 
se  rapporte.  Aussi,  le  savant  allemand  trouve-t-il  que  l'au- 
teur du  Décret  a  manqué  complètement  d'adresse  et  d'ha- 
bileté dans  la  rédaction  de  son  ouvrage,  qu'il  a  largement 
usé  des  documents  fournis  par  ses  prédécesseurs,  mais  qu'il 
les  a  copiés  d'une  manière  maladroite  «  auf  eine  geistlose 
Weise  (1)  )),  qu'il  a  accumulé  sans  discernement  dans  son 
recueil  tout  ce  qu'il  a  trouvé  dans  ceux  de  ses  devanciers  et 
qu'au  lieu  d'un  ouvrage  clair  et  méthodique,  il  est  arrivé  à 
ne  produire  <c  qu'une  masse  inordonnée,  indigeste  de  textes 
et  de  documents  (2).  » 

Les  passages  empruntés  à  Burchard,  continue  le  même 
critique,  tant  par  l'auteur  de  la  Tripartita  que  par  Yves  de 
Chartres  dans  sa  Paiiormiei  mais  quelque  peu  changés  par 
par  eux,  le  compilateur  du  Décret  qui  ne  remarque  pas  ces 

(1)  Theiner,  Ueher  Yvo's,  p.  44. 

(2)  Eine pîanlose  und platte  Fusion.  Ibid. 


—  90  ~ 

changements,  les  insère  intégralement  dans  son  recueil,  tel 
qu'il  les  trouve  dans  les  deux  ouvrages.  «  On  ne  peut  se 
a  faire  une  idée,  ajoute-t-il,  de  la  confusion  qui  règne  dans 
«  cet  ouvrage,  tant  les  matériaux  y  sont  mal  placés,  mal 
«  digérés,  sans  choix  et  sans  aucun  soin  :  tout  ce  qu'il 
((  trouve  de  documents  dans  ses  prédécesseurs,  il  les  copie 
«  de  telle  sorte  que  pour  ne  pas  interrompre  la  série  dans 
((  laquelle  se  trouvent  ces  documents,  il  les  reproduit  deux 
«  et  même  trois  fois  dans  son  ouvrage,  selon  qu'il  les  ren- 
«  contre  dans  les  deux  ou  trois  recueils  qu'il  a  entre  les 
«  mains  (1).  » 

Aussi,  tire-t-il  de  cette  absence  d'ordre  et  de  méthode  la 
conclusion  qu'Yves  de  Chartres  ne  peut-être  l'auteur  d'une 
pareille  compilation  :  a  Nous  ne  pouvons  croire,  dit-il,  qu'un 
«  homme  d'un  esprit  aussi  élevé  et  d'une  si  grande  érudition 
«  qui  avait  mis  à  profit,  avec  tant  d'habileté  et  de  perspica- 
ce cité,  les  œuvres  de  Burchard,  d'Anselme,  de  Lucques  et 
«  la  Tripartita^  et  avait  produit  une  œuvre  si  claire  et  si 
<(  méthodique,  ait  détruit  cette  œuvre  en  pillant  maladroite- 
ce  ment  et  ses  prédécesseurs  et  lui-même  pour  arriver  à  pro- 
«  duire  un  ouvrage  où  manque  tant  d'ordre  et  où  les  maté- 
((  riaux  sont  à  peine  élaborés  (2) .  » 

Ces  observations  sont  fondées  et  viennent  à  l'appui  de 
notre  thèse  :  à  savoir  que  le  Décret  est  l'œuvre  d'un  compi- 
lateur et  non  d'Yves  de  Chartres  lui-même. 

Mais  c'est  ici  qu'il  faut  nous  rappeler  ce  que  nous  avons  dit 
au  commencement  de  ce  chapitre  :  que  ces  recueils  ne  sont 
pas  des  œuvres  littéraires,  mais  avant  tout,  des  manuels 
pratiques,  commodes  pour  le  lecteur.  En  outre,  il  est  difficile 
d'apprécier  aujourd'hui,  d'une  façon  tout  à  fait  impartiale, 

(1)  Theiner  (p.  44,  note  18),  cite  plus  de  cent  endroits  où  les 
mêmes  passages  sont  deux  et  trois  fois  reproduits;  et  il  va  même 
jusqu'à  dire,  dans  sa  brutale  franchise  :  «  Qu'il  serait  impossible 
«  de  nettoyer  cette  écurie  d'Augias.  «  Esivœre  unmœglich  diesen  Au- 
giasstall  zu  sœubern.  »  (Voir  note  18  ad  fin.) 

(2)  «  Ein  so  innerlich  zusammenhwngendes,  und  nach  einem  durchge- 
«  henden  Plan  gearbeiietes  Werk.  »  Ibd,,  p.  45. 


—  91  — 

des  œuvres  qui  sont  si  loin  de  nous,  dans  un  temps  où  les 
règles  de  composition  étaient  loin  d'être  parfaitement  con- 
nues et  où  nul  auteur  ne  cherchait  à  faire  aucune  œuvre  d'art. 

Les  rédacteurs  de  ces  recueils  tenaient  à  être  les  plus  com- 
plets possibles  sur  chaque  sujet  ;  et  pour  cela,  ils  accumulaient 
le  plus  possible  de  textes  et  de  citations  pour  donner  à  leurs 
décisions  la  plus  grande  autorité  :  ce  qui  les  empêchait  sou- 
vent de  faire  un  choix  sévère  de  textes  et  d'éviter  les  répéti- 
tions. Souvent,  si  l'auteur  du  Décret  cite  deux  ou  trois  fois  les 
mêmes  passages,  c'est  qu'ils  conviennent  à  plusieurs  titres  à 
la  fois;  et  pour  éviter  les  recherches  au  lecteur  il  les  reproduit 
à  chaque  titre.  Néanmoins,  on  s'explique  très  bien  avec 
Theiner  qu'il  soit  difficile  d'établir  de  l'ordre  et  de  la  clarté 
dans  des  parties  qui  contiennent  plus  de  quatre  cents  chapi- 
pitres,  où  sont  accoUés  les  uns  aux  autres,  sans  aucune  divi- 
sion, et  les  canons  des  conciles  et  les  extraits  des  Saints 
Pères,  et  les  Lettres  des  Papes  et  les  lois  romaines,  sans  qu'on 
sache  précisément  à  quel  point  de  la  question  se  rapportent 
ces  documents  ;  on  comprend  que  le  savant  allemand  n'ait  vu 
dans  tout  cela  «  qu'une  masse  inordonnée  et  indigeste.  » 

Cependant,  nous  devons  dire  en  terminant  qu'il  y  a  exa- 
gération et  parti  pris  de  la  part  de  Theiner;  il  veut  avant  tout 
prouver  sa  thèse  :  qu'Yves  de  Chartres  n'a  point  rédigé  le 
Décret.  Malgré  cela,  ses  assertions  demeurent,  et  tout  en 
faisant  la  part  de  son  jugement  quelque  peu  intéressé,  il 
nous  faut  conclure  avec  lui  que  le  Décret.,  sous  le  rapport  de 
la  composition  et  de  la  méthode  est  inférieur  à  la  Panormie., 
qu'il  suppose  un  auteur  moins  habile  et  moins  intelligent  que 
notre  Évêque  de  Chartres;  et  par  conséquent,  qu'il  faut 
laisser  la  paternité  de  cet  ouvrage  à  quelque  compilateur  qui, 
possédant  entre  ses  mains  et  la  collection  Tripartita  et  la 
Panormie  et  les  autres  collections  antérieures,  aura  cru 
donner  une  œuvre  plus  complète  et  plus  parfaite  en  accu- 
mulant ainsi  à  la  suite,  et  sous  certaines  rubriques  les  docu- 
ments nombreux  contenus  dans  ces  ouvrages. 


CHAPITRE  VI 

DOCTRINES 


Évidemment,  nous  n'avons  pas  la  prétention  d'exposer  ici 
la  doctrine  complète  des  Recueils  dont  nous  venons  de  dis- 
cuter l'origine  et  l'authenticité. 

Cet  exposé,  on  le  devine,  exigerait  un  travail  considérable 
et  suffirait  à  former  une  œuvre  à  part  qui  ne  manquerait  cer- 
tainement pas  d'intérêt;  mais  ce  n'est  point  ici  le  lieu  de 
l'entreprendre. 

Nous  nous  contenterons  donc  de  choisir  quelques-unes  des 
questions  les  plus  importantes  au  point  de  vue  doctrinal  et 
disciplinaire;  et  nous  essayerons  d'indiquer  la  solution  qui 
leur  est  donnée  dans  nos  Recueils  du  onzième  siècle. 

Disons  d'abord,  qu'en  raison  même  de  la  nature  et  de  la 
composition  de  ces  sortes  d'ouvrages,  il  ne  faut  pas  s'attendre 
à  y  trouver  toujours  une  doctrine  claire,  précise  et  nettement 
formulée.  On  rencontre  souvent  dans  un  même  livre,  dans 
une  même  partie,  des  témoignages  et  des  citations  qui  offrent 
quelque  contradiction  ou,  du  moins,  qui  semblent  dictés  par 
un  esprit  diff'érent  :  ce  qui,  d'ailleurs,  s'explique  facilement. 

Nous  l'avons  établi  déjà  :  l'auteur  de  ces  Recueils  ne  fait 
pas  une  œuvre  strictement  personnelle.  La  plupart  du  temps, 
il  ne  fait  que  rapporter  à  chaque  sujet,  ranger  sous  une  même 
rubrique  les  canons  et  les  décisions  qu'il  rencontre  dans 
l'histoire  et  la  législation  de  l'Église  pendant  une  période  de 


—  93  — 

neuf  à  dix  siècles.  Il  n'est  pas  étonnant  alors  que  l'ensemble 
de  tous  ces  témoignages  ne  présente  pas  une  concordance 
parfaite,  un  tout  complet  :  on  s'explique  très  bien,  par 
exemple,  qu'un  concile  du  cinquième  ou  sixième  siècle  ne 
prenne  pas,  vis-à-vis  des  hérétiques,  les  mêmes  moyens  qu'un 
pape  du  temps  des  croisades  (1).  Dès  lors  qu'il  ne  s'agit  pas 
des  dogmes  fondamentaux  de  la  Religion,  on  comprend  que 
la  législation  ecclésiastique  ait  pu  varier  quelque  peu  avec  les 
siècles  et  les  différentes  phases  de  la  civilisation. 

La  lecture  et  l'étude  de  ces  Recueils  ne  peuvent  donc  nous 
faire  connaître  qu'une  chose  :  quelle  a  été,  depuis  les  pre- 
miers siècles  chrétiens  jusqu'au  onzième,  la  pensée  et  la  con- 
duite pratique  de  l'Église  sur  différents  points  de  doctrine  et 
de  morale,  et  cela,  à  l'aide  de  textes  et  de  citations  emprun- 
tés à  toutes  les  époques. 

Ces  Recueils  sont  donc,  pour  le  lecteur,  comme  des  témoins 
vivants  de  la  tradition  catholique.  Mais,  nous  le  répétons,  il 
ne  faut  pas  y  chercher  un  exposé  formel,  ni  un  résumé  exact 
et  complet  de  la  législation  alors  en  vigueur,  comme  on  en 
trouve  dans  nos  ouvrages  de  droit  et  de  législation  modernes. 

Ce  qui  distingue  chacun  de  ces  recueils  et  peut  nous 
donner  quelques  indications  sur  la  doctrine  personnelle  de 
l'auteur,  ce  sont  uniquement  les  titres  qui  se  trouvent  en  tête 
de  chaque  chapitre.  Le  choix  et  l'énoncé  de  ces  titres  ou  ru- 
briques sont  les  seuls  indices  qui  puissant  nous  faire  con- 
naître ou  nous  faire  deviner  le  véritable  sentiment  de  l'au- 
teur (2).   Souvent    on   ne  peut   le  tirer  que  par  voie   de 


(1)  Voir,  dans  M.  Ampère  (ouvrage  cité  p.  383),  la  contradiction 
qu'il  relève  entre  l'opinion  de  saint  Augustin,  au  sujet  de  la  con- 
version des  païens,  et  la  lettre  plus  libérale  d'un  Pape,  sur  le  même 
point. 

(2)  C'est  ainsi  que  Bossuet,  au  sujet  de  la  suprématie  pontificale, 
établit  une  différence  entre  l'opinion  d'Yves  de  Chartres  et  celle  de 
Gratien,  qui  tous  les  deux  cependant  reproduisent  le  même  texte, 
(La  lettre  de  Grégoire  VII  à  Herimann  évèque  de  Metz),  mais  lui 
donnent  un  titre  différent.  Voir  Defens.  Cleri  Gallic.  Pars  I,  lib.  III, 
cap.  xiY. 


—  'J.4  — 

conclusion  :  d'après  l'ensemble  des  textes  cités  dans  le  livre 
ou  la  partie  qui  traite  de  la  question . 

L'auteur  ne  cherche  presque  jamais  à  étabUr  par  lui-même 
sa  propre  doctrine,  ni  à  appuyer  par  des  raisons  personnelles 
son  opinion  propre.  Il  se  contente  d'apporter  des  textes  et  des 
décisions  antérieurs;  mais  lui,  ne  discute  pas.  C'est  un 
témoin  qui  affirme  ce  qu'il  sait,  ce  qu'il  a  appris  des  déposi- 
tions des  autres,  mais  qui  ne  formule  jamais,  ou  presque 
jamais  sa  propre  pensée. 

Voilà  pourquoi  M.  Ampère  dit  du  Décret  attribué  à  Yves 
de  Chartres,  «  qu'il  est  un  curieux  monument  du  génie  et  de 
((  l'état  de  l'Église.  » 

C'est  en  ce  sens  qu'il  faut  consulter  ces  sortes  d'ouvrages 
et  les  interroger.  C'est  ce  que  nous  allons  faire,  pour  quelques 
points  en  particulier. 

Commençons  par  la  hiérarchie  ecclésiasticjue. 

Qu'en  dit  l'évêque  de  Chartres,  ou  plutôt  quelle  idée  nous 
en  donnent  le  Décret  et  la  Panormie? 

Ils  consacrent  l'un  et  l'autre  un  livre  tout  entier  à  cette 
question  ;  et  le  titre  de  ce  livre  est  absolument  le  même  dans 
les  deux  ouvrages  :  De  primatu  Romande  Ecclesiee  et  de  jura 
mefropolitanorum  atqiie  episcoporum  (1). 

Est-il  besoin  d'établir  qu'ils  reconnaissent  clairement  la 
suprématie  du  Pontife  romain  sur  le  reste  de  l'Église?  Il  suffit 
de  parcourir  les  textes  nombreux  renfermés  dans  chacun  de 
ces  livres. 

«  L'Église  romaine,  dit  la  Panormie,  ne  tient  pas  sapuis- 
((  santé  des  apôtres,  mais  du  Sauveur  lui-même;  et  elle 
«  ajoute  :  Siciii  cardine  ostiwn  regitw\  ità  hiijus  sanctœ 
«  Sedis  auctoritate  omnes  ecclesiœ  regnntur  (2) .  » 

—  «  L'évêque  de  Piome,  dit  l'auteur  du  Décret,  est  le  pre- 
((  mier  des  évêques,  le  siège  de  Rome  est,  par  la  grâce  divine. 


(1)  Panormie,  lib.  IV.  —  Décret.  Pars  V. 

("2)  Panormie,  lib.  IV,  c.  ii,  cf.  c.  i,  m  iv.  -+-  Drcret.  Pars  V,  c.  xr,, 

XLII,  Xl.IV,   XLM. 


—  m  — 

«  le  premier  siège  du  monde  :  Prima  sedes  est  cœlesti  bene- 
((  ficio  Romana  Ecclesia  (1).  » 

On  doit  respecter  partout  ses  décrets  et  ses  décisions  (2)  ; 
ses  jugements  ne  doivent  être  réformés  par  personne  :  «  Ne- 
((  minem  sedis  apostolicse  judicia  judicare  aut  illiiis  senten- 
«  tiam  retractare  permissum  est  (3) .  »  Il  est  dit  dans  un 
chapitre  du  Décret^  que  ((  nul  n'a  le  droit  de  reprendre  le 
«  Pontife  romain,  même  quand  il  pèche  graviter  :  Hujus  cul- 
(.(.  pas  istic  redarguere  présumât  inortalium  nullus  \Jx)- 

Nul  évêque  n'a  le  droit  d'agir  contre  les  décrets  des  pontifes 
romains  (5).  Il  est  vrai  qu'à  côté  de  ce  texte  nous  en  trouvons 
un  autre  qui  «  interdit  au  siège  apostolique  d'innover  en  rien 
«  et  d'agir  contre  les  saints  canons  :  fsUiil  de  traditione  dimi- 
«  niiere,  vel  mutare  aut  aliquam  uonitatem  admittere  (6).  » 

C'est  au  Pontife  romain  qu'il  faut  en  appeler  dans  les 
causes  majeures  ou  dans  les  cas  douteux  (7).  Il  y  est  encore  dit 
que  les  jugements  des  évêques  doivent  être  confirmés  par 
l'autorité  apostolique  (8). 

Ainsi,  la  suprématie  pontificale  se  trouve  parfaitement  éta- 
blie dans  nos  deux  recueils  ;  et  nous  savons  par  les  lettres 
d'Yves  de  Chartres  qu'il  était,  en  principe,  le  défenseur  zélé 
de  cette  même  autorité  (9).  Ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de  lutter 
assez  souvent,  dans  la  pratique,  contre  les  détenteurs  médiats 

(1)  Décret.  Pars  Y,  c.  ii,  cf  1  +  Pars  lY,  c.  ci.  —  Panormie,  lib.  IV, 

C.   IV. 

(2)  Décret.  Pars  I,  c.  cxxxv.  +  Pars  lY.  c.  ccxi,  ccxxxvni.  + 
Pars  V,  c.  xin,  xv,  xlv,  ccclxxxyiii. 

(3)  Panormie,  lib.  lY,  c.  x.  cf.  c.  v,  vi,  yii,  yiii,  ix,  xi.  —  Décret. 
Pars  V,  c.  xxiii,  xxxr,  xxxii. 

(4)  Décret,  Pars  Y,  c.  xxiii.  On  y  trouve  néanmoins  cette  restriction  : 
«  nisi  deprehendatur  a  fide  devins.  »  Ibid. 

(5)  Panormie,  lib.  III,  c.   m.  —  Décret.  Pars  Y,  c.  viii,  xxxvn, 

CCCXLIX. 

(6)  Panormie,  lib.  III,  c.  iv. 

(7)  Décret.  Pars  Y,  c.  m,  iv,  xxx,  cclxxxxiv. 

(8)  Ibid.  Pars  Y,  c.  xxix. 

(9)  Des  écrivains  du  dix-huitième  siècle  l'accusent  «  d'être  l'âme 
damnée  du  Saint-Siège.  »  Yoir  l'abbé  de  Camps  dans  ses  cartulaires. 
(Biblioth.  nat.),  et  l'historien  Dreux  de  Radier. 


—  96  -~ 

ou  immédiats  de  cette  suprématie  dont  il  admettait  le  prin- 
cipe (1). 

Mais,  si  nos  Recueils  proclament  la  suprématie  du  Pontife 
romain,  ils  ne  sacrifient  pas  les  droits  des  évêques  ni  des 
métropolitains. 

Les  évêques  sont  les  successeurs  des  apôtres  (2),  les  thrônes 
de  Dieu  (3)  ;  ils  ne  doivent  être  jugés  que  par  leurs  compro- 
vinciaux  et  non  par  le  seul  métropolitain  (A). 

Le  métropolitain  a  seul  le  droit  de  ratifier  l'élection  d'un 
évêque  de  sa  province  et  de  lui  conférer  l'ordination  épisco- 
pale  (5)  ;  les  églises  suffragantes  doivent  suivre  les  coutumes 
et  les  rites  de  l'église  Métropolitaine  (6).  Nul  évêque  ne 
peut  disposerdes  biens  de  son  Eglise  sans  le  consentement  du 
métropolitain  (7).  C'est  à  lui  que  les  prêtres  doivent  en  ap- 
peler du  jugement  de  leur  évêque  (8) . 

On  voit  que  dans  ces  temps,  les  droits  et  l'autorité  des 
métropolitains  étaient  considérables.  C'était  à  eux  qu'il  appar- 
tenait de  convoquer  et  de  présider  ces  conciles  provinciaux 
dont  les  décisions  faisaient  loi,  même  au  delà  des  limites  de 
la  province  (9). 

Nos  recueils  s'occupent  également  des  prêtres  et  des  simples 
clercs.  Ils  ne  doivent  jamais  être  condamnés  sans  avoir  été 
entendus  canoniquement  (10);  ils  ont  le  droit  d'appel  à  leur 
métropolitain. 

Ces  auteurs  traitent  aussi  du  diaconat,  du  sous-diaconat  (11) 

(1)  Voir  sa  lutte  avec  le  légat  Hugues  de  Lyon  et  quelques-unes 
de  ses  lettres  au  pape  Pascal  II. 

(2)  Décret.  Pars  V,  c.  lxyiii,  lxxxxvui. 

(3)  Jbid.  Pars  XVI,  c.  cclxxxxvi. 

(4)  Ibid.  Pars  V,  c.  lxxxxix,  ci,  clxxiv.  — Panormie,  lib.  IV,  c.  xxv. 

(5)  Panormie,  lib.  HT,  c.  x. 

(6)  Décret.  Pars  III,  c^  lxviii. 

(7)  Décret.  Pars  III,  c.  cliii. 

(8)  Ibid.  Pars  III.  c.  cxxxvii. 

(9)  Ibid.  Pars  V,  c.  clyiii. 

(10)  Ibid.  Pars  XIV,  c  xli,  xlii.  —  Panormie,  lib.  V,  c.  cxxiv. 

(11)  On' voit  que  la  législation  sur  le  mariage  des  sous-diacres  n'é- 
tait pas  encore  nettement  établie.  Le  pape  Nicolas  !«'  reproche  à 


—  97  — 

et  des  Ordres  mineurs  (1)  et  ils  entrent  dans  le  détail  de 
chaque  ordination. 

Ainsi,  l'on  voit  que  la  hiérarchie  ecclésiastique  était  par- 
faitement constituée,  et  les  droits  de  chacun  clairement 
établis  par  la  législation  canonique  du  temps. 

Parmi  les  questions  qui  agitèrent  le  plus  le  onzième  siècle, 
il  faut  certainement  mettre  en  première  ligne  celle  des  Rap- 
ports entre  l'Église  et  l'État  :  entre  le  pouvoir  spirituel  et  le 
pouvoir  temporel.  On  peut  même  dire  que  c'est  là  la  grande 
question  de  l'époque;  que  l'histoire  de  cette  lutte  entre  l'em- 
pire et  la  papauté  absorbe  tout  le  reste. 

Il  est  donc  intéressant  de  voir  comment  les  auteurs  du 
temps  envisagent  ces  rapports  et  de  chercher  à  nous  rendre 
compte  de  leur  doctrine  sur  cette  question. 

N'oublions  pas  que  le  pape  Grégoire  VII  venait  de  mourir. 
Grâce  à  son  énergique  volonté  et  à  son  puissant  génie,  il  était 
parvenu  à  faire  pénétrer  dans  le  monde  ses  doctrines  sur  la 
supériorité  du  pouvoir  spirituel  ;  aussi,  ne  faut-il  pas  nous 
étonner  de  voir  reproduire  les  théories  si  chères  à  ce  grand 
pape,  dans  des  recueils  composés  dans  le  siècle  même  où  il 
mourut. 

La  Panormie  ne  contenant  qu'un  seul  passage  sur  cette 
matière  :  la  lettre  de  Grégoire  VII  à  Hérimann,  dont  nous 
allonsparler  plus  bas,  c'est  le  Décret  (]vl'û  nous  faut  examiner. 

L'auteur  commence  par  citer  l'antique  doctrine,  émise  dès 
le  temps  des  premiers  empereurs  chrétiens,  et  qui  devint  plus 
tard  comme  la  formule  de  l'union  entre  l'Église  et  l'État,  à 
savoir  :  Que  les  rois  et  les  empereurs  ont  besoin  des  Pontifes 
dans  les  choses  de  l'ordre  spirituel,  comme  ceux-ci  ont  besoin 
des  princes  pour  les  choses  de  l'ordre  matériel  (2). 

l'archevêque  de  Vienne  d'avoir  permis  à  un  sous-diacre  de  se  ma- 
rier; mais  il  ne  déclare  pas  le  mariage  nul.  (Voir  Décret.  Pars  VI, 
c.  cxix. 

(1)  Décret.  Pars  VI,  c.  iv  à  c.  xx.  —  Panormie,  lib.  III,  c.  xxviii 

à  c.  XL. 

(2)  Décret.  Pars  IV,  c.  clxxxviii. 


—  98  — 

Mais  les  empereurs  ne  peuvent  toucher  aux  droits  de 
l'Eglise  :  Imperiali  jiidicio  non  possunt  ecclesiastica  jura 
dissolvi  (1)  ;  il  ne  leur  est  pas  permis  de  rien  faire  contre  les 
lois  divines  :  Non  licet  imperatori  aliquid  contra  mandata 
divina  prœsiimere  (2).  Car  «  les  lois  des  empereurs  ne  sont 
«  pas  au-dessus  de  la  loi  divine  mais  au-dessous  (3).  »  — 
('  Il  ne  faut  pas  que  ceux  qui  sont  supérieurs  en  dignité,  ou 
((  en  raison  de  leur  caractère  soient  soumis  à  la  discussion  de 
«  leurs  inférieurs  ijx).  » 

Il  est  difficile,  on  le  voit,  d'affirmer  plus  clairement  la 
supériorité  du  pouvoir  spirituel  sur  le  pouvoir  temporel. 

Enfin,  au  dernier  chapitre  de  cette  cinquième  partie  dont  nous 
avons  tiré  la  plupart  de  nos  textes,  l'auteur  du  Décret  place 
la  lettre  de  Grégoire  VII  à  Herinam,  où  la  même  doctrine  est 
exprimée  avec  plus  de  vigueur  encore,  en  passant  par  la  plume 
du  fier  pontife  (5).  «  Peut-on  douter,  dit-il,  que  les  prêtres  du 
«  Christ  ne  soient  les  pères  et  les  maîtres  des  rois  et  des 
«  princes  aussi  bien  que  de  tous  les  autres  fidèles  ?  Ne  serait- 
«  ce  pas  une  déplorable  folie  de  vouloir  placer  le  père  sous  la 
((  domination  du  fils,  le  maître  sous  celle  du  disciple?  Or 
«  n'est-ce  pas  là  la  conduite  d'un  prince  qui  veut  soumettre  à 
((  son  injuste  tyrannie  celui  qu'il  sait  avoir  le  pouvoir  de  lier 
((  et  de  délier  non  seulement  sur  la  terre,  mais  même  dans  les 
«  cieux  ?  »  Puis,  il  rappelle  la  conduite  de  Constantin  «  qui, 
«  au  Concile  de  Nicée,  voulut  siéger,  non  au  premier  rang, 
((  mais  au  dernier  »  ;  il  cite  ensuite  la  théorie  du  pape  Gélase 
sur  les  deux  pouvoirs;  enfin,  rappelant  la  lutte  de  saint 
Ambioise  contre  Théodose,  il  emprunte  à  l'Evêque  de  Milan 
sa  célèbre   comparaison  :  «  Si  reguin  fiilgori  compares  et 


(1)  Décret.  Pars  Y,  c.  clxxxvii. 

(2)  Ihid.  Pars  V,  c.  ccxxxi,  cf.  Pars  V,  c.  ccxxxv. 

(.3)  Ibid.  Pars  XVI,  c.  xi.  a  Lex  imper atorum  non  est  supra  legem 
Dei,  sed  subtus.  »  —  Cf.  Pars  XVI,  cap.  ix,  x. 

(\)  Ibid.  Pars  V,  c.  viii. 

(5)  Décret.  Pars  V,  c.  ccclxxviii.  —  Panormie,  lib.  V,  c.  cviii  et 
cix. 


—  99  — 

«  principum  diademati,  longe  erit  infcrius^  quam  siplumbi 
«  metallum  ad  auri  fulgorem  compares.   » 

Cette  lettre  se  trouve  reproduite  absolument  mot  pour  mot 
dans  les  deux  recueils,  mais  avec  un  titre,  ou  plutôt  avec  des 
titres  différents.  Dans  le  Décret,  elle  ne  forme  qu'un  chapitre, 
et  elle  n'a  qu'un  seul  titre,  c'est  celui  que  cite  Bossuet  dans  sa 
Défense  :  «  Nullam  dignitatem  sœciUarem,  sed  nec  imperia- 
«  /em,  honori  veldignitati  episcopali  posse  adœquari.  »  Dans 
la  Panormie,  la  même  lettre  est  divisée  en  deux  parties,  qui 
portent  chacune  un  titre  spécial  :  le  premier  qui  est  tiré  du 
texte  même  de  la  lettre  :  «  Regwn  et  principum.  patres  et 
«  magistri  sacerdotes  esse  censentur.  Le  second  qui  est  ainsi 
conçu  :  «  Auctoritate  sacra  pontificum  et  regali  potestate 
«  hujiis  mundi  gubernacula  reguntur  (1).  » 

Telle  est  la  doctrine  contenue  dans  nos  deux  Recueils,  sur 
cette  grave  question  des  rapports  entre  les  deux  pouvoirs.  Ici, 
nous  avons  l'avantage  de  pouvoir  faire  connaître  au  lecteur 
l'opinion  personnelle  de  notre  auteur  ;  elle  est  parfaitement 
formulée  dans  la  lettre  qu'il  adresse  à  Henri  I",  roi  d'Angle- 
terre. Qu'on  nous  permette  d'en  citer  quelques  extraits  :  «  Il 
«  ne  saurait  y  avoir  de  bonne  administration,  dit-il,  sans  la 

«  concorde  entre  la  royauté  et  le  sacerdoce rappelez-vous 

«  que  le  royaume  terrestre  qui  vous  est  confié,  doit  être  subor- 
«  donné  au  royaume  céleste  dont  l'administration  appartient 
<(  à  l'Église.  De  même  que  le  sens  inférieur  et  animal  doit  se 
«  soumettre  à  la  raison,  ainsi  la  puissance  terrestre  doit  être 
((  soumise  au  gouvernement  ecclésiastique.  Un  corps  que 
«  l'âme  ne  vivifie  plus  est  un  cadavre;  il  en  serait  de  même 
<c  du  pouvoir  terrestre  s'il  cessait  d'être  animé  et  régi  par  la 
«  discipline  de  l'Église.  Le  corps  reste,  en  équilibre  et  con- 
«  serve  sa  vigueur  quand  la  chair  ne  résiste  pas  à  l'esprit; 

(1)  Bossuet  ne  parle  pas  de  ce  double  titre  de  la  Panormie.  Il  est 
vrai  que,  de  son  temps,  on  no  connaissait  pas  beaucoup  la  Panormie  : 
l'éditiou  des  œuvres  d'Yves  de  Chartres,  du  P.  Fronleau  (1647),  ne 
contenait  que  les  Lettres  et  le  Drcret;  il  n'y  était  nullement  question 
de  la  Panormie. 

G 


—  100  — 

«  de  même,  les  royaumes  de  ce  monde  sont  en  paix  quand 
«  ils  respectent  le  royaume  de  Dieu  (1).  » 

Il  nous  semble  qu'une  pareille  lettre  n'a  pas  besoin  d'expli- 
cation ni  de  commentaires  :  elle  exprime  assez  d'elle-même  le 
sentiment  véritable  de  son  auteur. 

Nous  avons  dit,  plus  haut,  que  ces  recueils  de  droit  canon 
du  moyen  âge  contenaient  à  la  fois  la  théologie  et  le  droit 
canon  proprement  dit;  que  les  deux  enseignements  étaient 
souvent  mêlés  et  confondus  :  nous  en  avons  une  preuve  évi- 
dente dans  le  Décret  et  la  Panonnie. 

En  effet,  nos  deux  recueils  nous  donnent  sur  la  Foi^  sur  le 
Baptême^  la  Confirmation^  et  surtout  sur  Xhucharistie  et  le 
Mariage  des  traités  assez  complets  pour  le  temps  et  dont  nos 
théologiens  modernes  ont  pu  tirer  quelque  profit  (2). 

Pour  ce  qui  regarde  Y  Église^  ils  ne  traitent  nullement  du 
point  de  vue  dogmatique  :  ni  de  la  divinité  de  son  origine,  ni 
de  son  autorité.  C'était  chose  acquise  et  tellement  reconnue 
de  tous,  qu'il  ne  venait  à  l'esprit  de  personne  de  soulever,  sur 
ces  points,  le  moindre  doute. 

Les  décrets  et  canons  portent  surtout  sur  ce  qu'on  pourrait 
appeler  la  partie  matérielle. 

Ainsi  on  s'occupe  beaucoup  de  l'établissement  des  églises 
et  des  paroisses  (3),  de  leurs  privilèges,  de  leurs  biens  et 
revenus,  des  dons  et  offrandes  des  fidèles,  des  offices  qu'on 

(1)  «  Res  omnes  non  aliter  bene  administrantiir,  nisi  cum  regnum  et 

«  sacerdotium  in  unum  convenerint  studium ,  regnum  terrenum  cœlesti 

«  regno,  quod  Eccledae  commissum  est,  subditum  esse  debere  semper  cogi- 
«  tetis,  sicut  enim  sensus  animalis  subditus  esse  débet  rationi,  ita  potestas 
«  terrena  subdita  esse  débet  ecclesiastico  regimini.  Et  quantum  valet  cor- 
«  pus  nisi  regatur  ab  anima  tnntum  valet  terrena  potestas  7iisi  informetur 
«  et  regatur  ecclesiastica  disciplina.  Et  sicut pacatum  est  regnum  corporis, 
«  cum  jam  non  resistit  caro  spiritui,  sic  in  pace  possidetur  regnum  mundi 
«  cum  jam  resistere  non  molitur  regno  Dei.  »  [Ivon.  Carnot.  Epist.  106.) 

(2)  Décret.  Pars  I  et  II.  — Panormie,  lib.  I. 

(3)  Il  est  défendu  à  un  évèque  de  donner  une  paroisse  à  un  monas- 
tère, sans  le  consentement  du  Concile  delà  province.  [Décret.  Pars  III, 

C.  GLXVin.) 


--  101  — 

doit  célébrer,  des  sépultures,  du  droit  d'asile  et  de  la  condi- 
tion des  affranchis  de  l'Eglise  (1) .  Nos  auteurs  insistent  beau- 
coup sur  ces  deux  derniers  points  et  citent  un  grand  nombre 
de  textes. 

On  reconnaît,  dans  ces  diverses  prescriptions,  le  côté  émi- 
nemment pratique  de  ces  recueils  que  nous  avons  déjà  signalé  : 
on  voit  qu'on  ne  faisait  pas  de  science  pour  la  science,  mais 
avant  tout,  pour  l'utilité  pratique  des  prêtres  et  des  fidèles  ; 
c'était  là  l'idéal  que  poursuivaient  les  rédacteurs  de  ces  sortes 
d'ou\Tages. 

C'est  ce  qui  nous  explique  pourquoi  entre  toutes  les  ques- 
tions, celle  du  Mariage  est  traitée,  dans  nos  recueils,  avec  le 
plus  d'étendue. 

C'est  un  point  pratique  auquel  l'Eglise  a  toujours  attaché 
la  plus  grande  importance,  au  moyen  âge  surtout,  après  les 
invasions  des  barbares.  Pour  assurer  l'ordre  et  la  sécurité 
dans  la  société,  il  fallait  l'établir  d'abord  dans  la  famille  et 
surtout  à  l'origine  de  la  famille.  De  là,  les  nombreuses  pres- 
criptions concernant  le  mariage  que  nous  rencontrons  dans 
tous  les  ouvrages  de  droit  canon  de  ces  temps-là,  et  spéciale- 
ment dans  ceux  qui  font  l'objet  de  ce  travail. 

Ainsi  le  Décret  consacre  à  ces  matières  deux  livres  entiers, 
qui  comptent,  l'un  334  chapitres  et  l'autre  129  (2).  La  Panor- 
mie  qui  ordinairement  est  beaucoup  moins  abondante  que  le 
Décret,  contient  également  deux  livres  entiers  sur  le  Ma- 
riage (3). 

Notre  intention  n'est  pas  de  relever  ici  tous  les  points  de 
doctrine  que  nous  avons  constatés  dans  l'étude  de  ces  cha- 
pitres; nous  nous  contenterons  d'en  mentionner  quelques- 
uns. 

Ainsi,  nous  trouvons  parfaitement  établie  la  doctrine  ensei- 
gnée, de  nos  jours,  par  l'EgUse,  à  savoir  :  que  la  validité  du 


(1)  Décret.  Pars  III,  de  Ecclesia.  —  Panormie,  lib.  II  de  Ecclesia. 

(2)  Décret.  Pars  VIII  et  IX. 

(3)  Panormie,  lib.  VI  et  VII. 


~  10-2  — 

mariage  résulte  du  consentement  et  de  la  volonté  des  parties 
contractantes  (1). 

Les  empêchements  dérimants  :  l'erreur  de  la  personne,  la 
condition,  la  parenté,  l'affinité,  le  rapt,  etc. ,  y  sont  très  lon- 
guement exposés.  L'arbre  généalogique  de  la  consanguinité, 
décrit  par  saint  Isidore,  s'y  trouve  parfaitement  repro- 
duit (2). 

Des  textes  nombreux,  puisés  à  des  sources  bien  diverses, 
établissent  invinciblement  l'indissolubilité  du  mariage.  On 
admet,  pour  certains  cas,  la  séparation;  mais  le  vincidum 
matrimonii  demeure  ;  et  l'épouse  renvoyée  ne  peut  épouser 
un  autre  homme,  du  vivant  do  son  mari  (3). 

Tl  est  également  très  souvent  question,  dans  nos  deux 
Recueils,  du  mariage  des  esclaves  et  des  personnes  libres  :  on 
voit  que  de  nombreux  cas  se  présentaient,  dans  ces  temps  du 
moyen  âge.  On  proclame  la  légitimité  et  l'indissolubilité  de 
ces  mariages,  à  moins,  toutefois,  d'une  erreur  complète  sur 
l'état  de  la  personne.  Et  encore,  l'auteur  ajoute-t-il  :  f(  Si 
«  J'épouse  est  esclave,  que  son  mari,  s'il  !e  peut,  la  rachète  et 
((  la  garde  [h).  » 

Et  notre  auteur  en  donne  ici  une  raison  qui  dénote  un  es- 
prit droit  et  très  libéral  pour  son  temps  :  «  N'avons-nous  pas 
((  tous,  dit-il,  libres  et  esclaves,  riches  et  pauvres,  un  seul  et 
«  même  père  qui  est  dans  les  cieux  (5)?  » 

(1)  Panormie,  lib.  "VI,  c.  cvii.  Nous  ne  parlons  pas  de  la  condition 
expresse  imposée  par  le  Concile  de  Trente  :  la  présence  du  propre 
curé. 

(2)  Décret.  Pars  IX. 

(3)  Ibid.  Pars  VIII,  c.  cgxxxv,  passim.  —  Panormie,  liJ).  VU,  c.  i, 
11,  lY,  V,  vr. 

(4)  Ihid.,  lib.  YI,  c.  xli,  cf.  c.  cxi. 

(5)  Panormie,  lib.  YI,  c.  xxxviii,  ci',  c.  xlii. 

On  fait  souvent  honneur  aux  hommes  de  nos  temps  modernes, 
d'avoir  prêché  l'abolition  de  l'esclavage  et  proclamé  l'égalité  de  tous 
les  hommes.  Or,  nous  avons  eu,  plusieurs  fois,  l'occasion  de  ren- 
contrer dans  Yves  de  Chartres  des  passages  où  il  proclame  cette 
grande  vérité.  Sans  parler  du  texte  que  nous  venons  de  citer,  nous 
trouvons  dans  une  de  ses  lettres  un  passage  bien  affirrnatif  :  il  s'agit 


—  103  — 

Nous  terminons  cet  examen  rapide  par  quelques  mots  sui- 
V Homicide  que  nos  deux  Recueils  traitent  assez  longuement. 

Ils  commencent  par  condamner  hautement  le  suicide  et  par 
proclamer  le  respect  de  la  vie  humaine  (1).  Mais,  chose  assez 
curieuse  et  qui  peint  bien  l'esprit  et  les  mœurs  du  temps,  les 
homicides  même  des  prêtres,  des  évêques,  ne  sont  condamnés 
qu'à  une  amende  (2)  et  à  une  pénitence  publique  (3) .  Quel- 
quefois, il  arrive  qu'on  les  prive  de  la  communion  pendant  le 
reste  de  leur  vie  [h).  Si  l'homicide  est  prêtre,  on  le  prive  du 
sacerdoce;  s'il  est  évèque,  on  l'excommunie  et  on  le  dé- 
pose (5)  ;  mais  le  châtiment  ne  va  pas  au  delà.  Même  les  par- 
ricides et  les  fratricides  ne  sont  pas  traités  plus  sévèrement  (6) . 
.    Enfin,  nous  trouvons  cette  singulière  défense  qui  suppose 

d'uu  homme  Ubre  qui  avait  ôpousé  une  esclave  sans  connaître  sa 
condition,  l'avait  renvoyée  et  voulait  en  épouser  une  autre. 

Yves  de  Chartres  répond  à  l'évèque  d'Orléans  :  «  Si  nous  ne 
«  consultons  que  les  décrets  des  Pères  et  les  lois  du  siècle,  le 
«  divorce  est  légitime.  Mais  si  nous  remontons  jusqu'à  l'institution 
«  divine  et  que  nous  consultions  la  loi  de  la  nature,  où  il  n'y  a  ni 
«  libre  ni  esclave,  je  ne  puis  pas  me  persuader  facilement,  qu'en 
((  raison  d'une  condition  que  la  nature  n'a  point  faite,  pour  laquelle 
«  la  loi  divine  n'a  pas  posé  d'exception,  une  loi  humaine  postérieure 
((  puisse  venir  briser  les  liens  sacrés  de  l'union  conjugale.  »  (Voir 
Ivon    Carnot.  Epist.  221.) 

Nous  trouvons  dans  le  Prologue  de  la  Panormie,  la  mémo  idée 
reproduite  avec  la  même  précision.  «  En  Dieu,  dit  Yves  de  Chartres, 
«  il  n'y  a  pas  acception  de  personnes;  et  la  nature  qui  est  également 
«  la  mère  de  tous  les  hommes  ne  doit  être  critiquée  par  personne  : 
«  natiira  quœ  omnium  par  est  genitrix  ab  aliquo  reprehendi  non  potest.  » 

(1)  Décret  Pars  X,  c.  i,  iv,  v,  -vi.  —  Panormie,  lib.  VIII,  c.  i. 

(2)  Pour  le  meurtre  d'un  sous-diacre,  on  payait  300  solidi  ;  pour 
celui  d'un  diacre,  400;  pour  celui  d'un  prêtre,  600;  pour  celui  d'uu 
évêque,  900;  pour  celui  d'un  moine,  400.  lyoïv  Décret.  Pars  X,  c.  ix.) 

Voici  un  autre  canon  qui  explique  ot  confirme  bien  la  pensée  qui 
présidait  à  cette  législation  :  «  Si  quis  hominem  claudum  aut  luscum 
«  occiderit,  qui  eo  anno  integer  et  pretii  magni  fuerit,  tantum  damnatur 
«  quantum  {is  homo)  in  eo  anno  plurimi  erit.  »  [Ibid.  Pars  X,  c.  l.) 

(3)  Décret.  Pars  X,  c.  ix,  x,  xi,  xir,  xiii,  xviii.  —  Panormie, 
lib.  VIII,  c.  VI,  vu,  VIII,  IX 

(4)  Décret.  Pars  X,  c.  xxxix. 

(.5)  Ibid.  Pars  X.  c.  lt,  lîi.  —  Panormie,  lih.  III,  c.  CLiir. 

|6)  Décret,  Pars  X,  c.  clxiii  à  ci.xviii  -h  clxxviii,  glxxix,  cr.xxx. 


—  104  — 

qu'on  attentait  facilement  alors  à  la  vie  humaine  :  «  Non 
a  occidatiir  hoyno^  nisi  lege  jubente  (1).  » 

Il  serait  très  intéressant,  comme  on  le  voit  par  ces  quelques 
extraits,  d'étudier,  à  l'aide  de  ces  recueils,  cette  législation 
du  moyen  âge  dont  plusieurs  prescriptions  nous  semblent 
étranges. 

Nous  y  verrions,  nous  y  prendrions,  pour  ainsi  dire,  sur  le 
vif,  l'état  exact  des  mœurs  et  des  personnes  ;  et  nous  pour- 
rions alors  apprécier  d'une  façon  plus  vraie  et  plus  impartiale 
cette  époque  de  notre  histoire  et  mieux  juger  des  progrès  de 
la  civihsation  chrétienne.  Mais  celte  étude  exigerait  une  œuvre 
considérable,  qui  dépasserait  le  but  de  ce  travail  et  les  limites 
que  nous  nous  sommes  imposées. 

(1)  Décret.  Pars  X,  c.  xli. 


CONCLUSIONS 


I.  —  Yves  de  Chartres  est  certainement  auteur  d'un  ou- 
vrage sur  le  droit  canon.  Sa  réputation  de  savant  et  de  cano- 
niste  est  attestée  par  de  nombreux  témoignages  du  temps. 

IL  —  Le  Prologue  et  la  Panormie  en  huit  livres  que  nous 
possédons  appartiennent  certainement,  à  Yves  de  Chartres. 

IIL  —  On  peut  affirmer  que  la  Panormie  aussi  bien  que 
le  Décret  ont  été  composés  avec  les  matériaux  de  la  collection 
Tripartita. 

IV.  —  Il  y  a  de  grandes  probabilités  pour  que  l'auteur  de 
la  collection  Tripartita  soit  Yves  de  Chartres  lui-même. 

V.  —  Le  Décret  attribué  à  Yves  de  Chartres  ne  présente 
pas  de  caractères  certains  d'authenticité  ;  des  raisons  sérieuses 
et  décisives  militent  en  faveur  de  l'opinion  contraire. 

VI.  —  En  général,  les  collections  du  droit  canon  au  onzième 
siècle,  pas  plus  que  celles  des  siècles  précédents  ne  sont,  à 
proprement  parler,  des  œuvres  littéraires  ;  elles  sont  plutôt 
de  simples  compilations  visant  surtout  à  l'utilité  pratique. 
La  méthode  et  l'art  de  la  composition,  même  dans  les  meil- 
leures, y  font  souvent  défaut. 

VIL  —  Le  Décret  et  la  Panormie  sont  des  monuments  de 
la  Tradition  chrétienne,  tant  au  point  de  vue  du  Dogme  que 
de  la  Morale  et  de  la  Discipline. 

VIII.  —  Les  textes  si  nombreux  empruntés  aux  Conseils 
de  toutes  les  époques  nous  donnent  une  idée  de  la  vie  et  de 
l'action  puissante  de  l'Église  à  travers  les  âges. 


—   101)  ~ 

IX.  Nos  deux  recueils  établissent  suffisainment  la  doctrine 
qu'on  professait  au  onzième  siècle,  sur  la  suprématie  pontifi- 
ficale  et  sur  les  rapports  entre  le  pouvoir  spirituel  et  les 
gouvernements  temporels. 

X.  —  Les  nombreuses  questions  soulevées  au  sujet  du 
mariage  peuvent  nous  faire  connaître  l'état  des  mœurs  et  des 
personnes  avant  le  douzième  siècle. 

XI.  —  On  peut,  d'après  nos  recueils,  juger  de  l'état  de  la 
législation  civile  et  ecclésiastique  alors  en  vigueur. 

XII.  —  Le  Décret  et  le  Panormie  ont  contribué,  pour  leur 
part,  à  mettre  en  lumière  les  lois  romaines  et  à  en  faire  péné- 
trer l'esprit  jusque  dans  nos  codes  modernes. 

XIII.  —  L'étude  de  ces  recueils  peut  être  d'une  grande 
utilité  pour  l'histoire  générale  de  l'Eglise  et  pour  l'histoire  de 
notre  pays. 


APPENDICE 


La  Panormie  d'Yves  de  Chartres  a  eu  trois  éditions  : 

La  première  est  celle  de  Sébastien  Brandt,  petit  in-Zi°  im- 
primé à  Bàle  en  lii99.  Les  caractères  de  cette  édition  ont  la 
forme  gothique.  Il  s'en  trouve  un  exemplaire  très  bien  con- 
servé à  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève. 

La  deuxième  édition  est  celle  de  Melchior  Vosmedianus, 
publiée  à  Louvain  en  1557,  in-S"  d'après  un  manuscrit  trouvé 
à  Londres.  Elle  est  dédiée  à  Philippe  IL  On  sait  que  le  roi 
d'Espagne  avait  épousé  Marie  Tudor  morte  en  1559  et  qu'il 
avait  tenu  sa  cour  à  Londres  pendant  une  quinzaine  d'années. 

Ces  deux  éditions  sont  remplies  de  fautes.  Aussi  D.  Gellé 
qui  avait  l'intention  d'en  publier  une  nouvelle,  s'était-il 
donné  la  peine  d'y  faire  de  nombreuses  corrections.  On  peut 
en  voir  le  détail  dans  le  manuscrit  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale, n"  12317,  fol.  hO,  /il,  42,  que  nous  avons  cité  à  plu- 
sieurs reprises  dans  le  cours  de  notre  travail. 

Le  P.  Fronteau  dans  son  édition  des  OEuvres  d'Yves  de 
Chartres.  Paris,  1647,  in-fol.,  préparée  par  le  chanoine  Sou- 


—  108  — 

chet,  ne  donne  point  la  Panormie;  on  n'y  trouve  que  le 
Décret  et  les  lettres  d'Yves. 

La  troisième  édition  est  celle  de  la  Patrolog.  Lat.  de  Migne, 
t.  CLXI.  Elle  paraît  n'être  que  la  reproduction  de  l'édition 
de  Vosmedianus,  par  conséquent  elle  doit  contenir  aussi  de 
nombreuses  erreurs  et  de  fausses  indications. 

Il  existe  à  la  Bibliothèque  nationale  comme  nous  l'avons 
dit,  de  nombreux  manuscrits  tant  dans  l'ancien  fonds  latin 
que  dans  le  nouveau.  Les  titres  sont  quelquefois  différents, 
mais  le  corps  de  l'ouvrage  et  les  détails  sont  partout  les 
mêmes. 


II 


Le  Décret  d'Yves  de  Chartres  ou  du  moins  imprimé  sous 
son  nom  a  eu  également  trois  éditions. 

La  première  est  celle  de  Louvain,  en  1557,  in-fol.  Elle  a 
été  faite  par  le  docteur  Dumoulin,  professeur  à  Louvain. 
L'éditeur  met  en  marge  une  espèce  de  concordance  avec  le 
Décret  de  Gratien  et  il  annonce  dans  sa  préface  qu'il  a  fait 
bon  nombre  de  corrections  ;  mais  il  faut  avouer  qu'il  n'a  pas 
été  heureux  dans  ses  corrections,  puisque  D.  Gellé  qui  s'est 
servi  de  son  édition  y  a  trouvé  des  fautes  et  des  erreurs  par 
centaines. 

La  deuxième  édition  est  celle  du  P.  Fronteau,  publiée  à 
Paris  en  16/i7.  Elle  avait  été  préparée  et  presque  mise  en 
œuvre  par  Souchet,  chanoine  de  Chartres,  qui  s'étant  vu 
ravir  le  mérite  de  ce  travail  par  le  Genovefain  Fronteau  s'en 
plaint  amèrement  dans  une  brochure  assez  curieuse.  On  a 
édité  cet  écrit,  dans  ces  dernières  années,  à  la  suite  de  V His- 
toire de  Chartres  par  le  même  Souchet.  (Voir  cà  la  fin  du 
tome  IV.) 

Cette  deuxième  édition  est  loin  d'être  correcte.  Le  docte 


—  109  — 

chanoine  se  plaint  que  les  typographes  se  sont  trop  hâtés,  il 
n'a  pu,  dit-il,  faire  tout  ce  qui  était  nécessaire  et  il  désire  de 
la  part  des  érudits  des  notes  et  des  éclaircissements  plus 
amples.  (Voir  mss.  12317,  2"  préface,  fol.  /il,  fin.) 

Souchet  reproduisit  dans  son  édition  toutes  les  fautes  de  la 
première,  c'est-à-dire  les  fausses  citations,  de  faux  textes  attri- 
bués à  différents  Pères  de  l'Église,  de  fausses  Bécretales,  etc. 
En  un  mot,  il  laissait  de  la  marge  aux  éditeurs  de  Tavenir. 
C'est  sans  doute  pour  cette  raison  que  D.  Gellé  ne  s'est  pas 
servi  de  cette  édition  de  1647,  mais  de  la  première  pour 
faire  ses  corrections  :  il  n'a  pas  jugé  sans  doute  cette  dernière 
plus  incorrecte  que  celle  de  Fronteau. 

La  troisième  édition  du  Décret  appartient  à  la  Patrol.  lat. 
de  Migne,  t.  CLXI.  Elle  n'est  que  la  reproduction  de  l'édition 
de  16/i7.  L'éditeur  aurait  dû  se  servir  de  la  première  édition 
de  Dumoulin  corrigée  par  D.  Gellé  ;  mais  il  est  probable  qu'il 
ignorait  l'existence  de  ce  manuscrit. 

Nous  ne  revenons  pas  sur  ce  que  nous  avons  dit  des  ma- 
nuscrits du  Décret,  dans  le  courant  de  notre  travail.  Nous 
donnerons  seulement  ici  une  notice  d'un  manuscrit  du  nou- 
veau fonds  latin  qui  est  annoncé  comme  contenant  le  Décret 
d'Yves  mais  qui  n'en  est  que  l'abrégé.  Ce  manuscrit  porte 
len"  l/i809(fol.  31 /i  à  fol.  393),  petit  in-/i°  épais.  Le  pre- 
mier fol.  porte  les  titres  succincts  des  dix-sept  parties  du 
Décret.  Le  deuxième  contient  le  Prologue  d'Yves,  ou  plutôt 
le  commencement  du  Prologue,  il  s'arrête  à  ces  mots  :  qui 
potest  capere  capiat.  Il  manque  les  trois  premiers  chapitres 
de  la  première  partie. 

La  dix-septième  partie  du  Décret  manque  comme  dans 
beaucoup  de  manuscrits  et  surtout  dans  les  abrégés  qui  en  ont 
été  faits. 

Evidemment,  nous  n'avons  ici  qu'un  epitome;  d'ailleurs, 
ce  n'est  pas  en  soixante  dix-neuf  fol.,  petit  m-h°  que  peut 
tenir  l'énorme  ouvrage  attribué  à  Yves  de  Chartres. 

Il  existe  à  la  Bibliothèque  nationale,  anc.  fonds  lat.  sous 
les  n°'  3875  3876  deux  manuscrits  qui  contiennent  des  collée- 


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tions  de  droit  canon  ;  mais  rien  dans  ces  deux  manuscrits 
ni  dans  le  titre,  ni  dans  la  suite  de  l'ouvrage,  n'indique  quels 
en  peuvent  être  les  auteurs. 

Vu  et  lu  en  Sorbonne,  le  14  juin  1880, 
Pour  Monseigneur  le  Doyen, 
le  plus  ancien  professeur, 


Barges.  -^ 


Vu  et  permis  d'imprimer, 
Le  Vice-Recteur  de  l'Académie  de  Paris, 

Gréard. 


N.-B.  —  La  Faculté  laisse  au  candidat  la  responsabilité  des  opi- 
nions émises  dans  cette  thèse. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Avant-propos .     .        1 

Chapitre  I<"".  —  Yves  de  Chartres,  canoniste W»  /^ 

Chapitre  II.    —  La  Panormie 2^    %  ù 

Chapitre  III.  —  La  collection  Tripartita 4%»--«o^;a. 

Chapitre  IV.  —  Le  Décret &&-=''-;r~-""~'iig;  2L 

Chapitre  V.    — Méthode  et  composition T^  C 

Chapitre  VI.  —  Doctrines 85  "^  ^ 

Conclusions 105 

Appendice   1 107 

—        II 108 


-•;  S<j-e  ot  FUg,  Imp..  pL  du  PautWon,  £«. 


I 


MENU,  J.a.  BQT 

BECJERCHES  ...  YVES  de  Chartres.  149' 

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